samedi 10 novembre 2012

Le monde d'hier et d'ici...

"On aurait jugé scandaleux que des jeunes filles jouassent au tennis en jupe courte, voire les bras nus, même par le plus chaud des étés, et quand une femme bien élevée croisait les jambes en société, le savoir-vivre trouvait cela épouvantablement choquant, parce que, ainsi, elle aurait pu découvrir ses chevilles sous l'ourlet de la robe.

On ne permettait pas même aux éléments, au soleil, à l'air, à l'eau, de toucher la peau nue d'une femme. En pleine mer, elles avançaient péniblement dans de lourds costumes, couvertes du cou jusqu'aux talons (...) 

Ce n'est ni une légende ni une exagération de prétendre que des femmes sont mortes vieilles dames sans que personne , à l'exception de leur accoucheur, du mari et du laveur de cadavres, eût vu de leur corps ne fût-ce que la ligne des épaules ou les genoux (...)"


Cette description de la répression sexuelle et des névroses d'une époque n'a pas été écrite par un Saoudien ou un Afghan, mais par l'écrivain autrichien Stefan Zweig dans ses mémoires "Le Monde d'hier" qui narrent la Vienne et l'Europe d'avant 1914. Comme quoi les moeurs et les modes peuvent changer très vite et que le monde d'hier est encore bien d'actualité...



Ecoutons encore Zweig :

 "Il était parfaitement inconcevable que deux jeunes gens de même condition, mais de sexes différents, pussent faire une excursion sans surveillance - ou plutôt la première pensée était qu'il pourrait se passer quelque chose (...) 

En réalité, rien n'augmentait ni n'échauffait davantage notre curiosité que cette technique maladroite de la dissimulation; et comme on ne voulait pas laisser librement et ouvertement leurs cours aux choses naturelles, la curiosité s'aménageait dans une grande ville ses canaux souterrains, le plus souvent pas très propres.

Dans toutes les couches sociales, du fait de cette répression, on sentait chez la jeunesse une surexcitation souterraine qui se manifestait d'une manière enfantine et maladroite...

Tout cela paraît aujourd'hui, pur conte de fées ou caricature humoristique; mais cette crainte de tout ce qui est corporel et naturel avait pénétré des classes les plus élevées jusqu'au plus profond de tout le peuple, avec la véhémence d'une véritable névrose. Car peut-on encore se représenter aujourd'hui que vers la fin du siècle passé, quand les premières femmes se risquèrent à bicyclette ou à monter à cheval sur une selle d'homme, les paysans jetèrent des pierres à ces effrontées?"


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