jeudi 29 novembre 2012

Justice

C'est une drôle de justice qui en dit long sur le pays et sa conception du monde.

Un Emirati de 23 ans accusé d'avoir battu à mort sur un parking de Dubaï une jeune Nigériane s'en est tiré récemment avec quatre ans de prison: trois ans pour meurtre non prémédité et un an pour agression sexuelle. Il était trois heures du matin et l'homme, sans emploi, sortait d'un bar du Crowne Plaza. Dans le parking, il s'est jeté sur un groupe de Nigérianes qui rentraient chez elles parce qu'elles étaient Noires, et donc, selon lui, prostituées ou quelque chose du genre. C'est en voulant se porter à la défense d'une amie que l'homme tentait de tripoter que la victime a été frappée à coup de poings et à coup de pieds. Elle a été un mois dans le coma avant de décéder.

Autre affaire, autre moeurs. Un Emirati a écopé de la peine maximale, soit 25 ans de prison, pour avoir violé une compatriote. Ou plutôt avoir refusé de l'épouser après l'avoir entraînée chez lui et l'avoir forcée à avoir des relations sexuelles. C'était lui, avant ce viol, qui voulait l'épouser, elle qui ne voulait pas. Après cette affaire, les rôles se sont inversés et il ne répondait plus aux appels téléphoniques désespérés de la jeune femme qui l'a donc dénoncé à la police. Et voilà. 25 ans de prison.

La morale de cette histoire pour les hommes émiratis est que violer une compatriote est inacceptable, mais pour ce qui est d'une étrangère, cela dépend sans doute de son origine, de sa couleur et de sa religion...

samedi 10 novembre 2012

Le monde d'hier et d'ici...

"On aurait jugé scandaleux que des jeunes filles jouassent au tennis en jupe courte, voire les bras nus, même par le plus chaud des étés, et quand une femme bien élevée croisait les jambes en société, le savoir-vivre trouvait cela épouvantablement choquant, parce que, ainsi, elle aurait pu découvrir ses chevilles sous l'ourlet de la robe.

On ne permettait pas même aux éléments, au soleil, à l'air, à l'eau, de toucher la peau nue d'une femme. En pleine mer, elles avançaient péniblement dans de lourds costumes, couvertes du cou jusqu'aux talons (...) 

Ce n'est ni une légende ni une exagération de prétendre que des femmes sont mortes vieilles dames sans que personne , à l'exception de leur accoucheur, du mari et du laveur de cadavres, eût vu de leur corps ne fût-ce que la ligne des épaules ou les genoux (...)"


Cette description de la répression sexuelle et des névroses d'une époque n'a pas été écrite par un Saoudien ou un Afghan, mais par l'écrivain autrichien Stefan Zweig dans ses mémoires "Le Monde d'hier" qui narrent la Vienne et l'Europe d'avant 1914. Comme quoi les moeurs et les modes peuvent changer très vite et que le monde d'hier est encore bien d'actualité...



Ecoutons encore Zweig :

 "Il était parfaitement inconcevable que deux jeunes gens de même condition, mais de sexes différents, pussent faire une excursion sans surveillance - ou plutôt la première pensée était qu'il pourrait se passer quelque chose (...) 

En réalité, rien n'augmentait ni n'échauffait davantage notre curiosité que cette technique maladroite de la dissimulation; et comme on ne voulait pas laisser librement et ouvertement leurs cours aux choses naturelles, la curiosité s'aménageait dans une grande ville ses canaux souterrains, le plus souvent pas très propres.

Dans toutes les couches sociales, du fait de cette répression, on sentait chez la jeunesse une surexcitation souterraine qui se manifestait d'une manière enfantine et maladroite...

Tout cela paraît aujourd'hui, pur conte de fées ou caricature humoristique; mais cette crainte de tout ce qui est corporel et naturel avait pénétré des classes les plus élevées jusqu'au plus profond de tout le peuple, avec la véhémence d'une véritable névrose. Car peut-on encore se représenter aujourd'hui que vers la fin du siècle passé, quand les premières femmes se risquèrent à bicyclette ou à monter à cheval sur une selle d'homme, les paysans jetèrent des pierres à ces effrontées?"


La "Sharjah book fair", Mosteghanemi et Arundhati Roy


C'était la première fois que je visitais la foire du livre de Sharjah, l'une des plus importantes de la région. Elle permet au visiteur d'avoir un aperçu unique non seulement sur la création littéraire au Moyen-Orient, mais aussi sur celles en Inde et au Pakistan, dont les ressortissants forment la majorité de la population des Emirats arabes unis.

Des centaines de maisons d'édition du Maroc jusqu'en Inde en passant par le Liban ou l'Egypte avaient cette année installé leur kiosque au centre d'exposition de Sharjah. Il y avait des livres pour tous les goûts et sur tous les sujets, avec une section spéciale consacrée aux enfants et... à la cuisine. Même la police de Sharjah avait son kiosque.

La censure est quotidienne aux Emirats - il n'y a qu'à regarder un film à la télévision pour s'en rendre compte -  et cette foire est justement remarquable pour les livres "rares" qu'on y trouve. Ainsi la maison Dar Al Saqi, basée à Londres et à Beyrouth et dont les livres en anglais et en arabe sont pratiquement introuvables aux Emirats, pouvait exposer sans problème ses auteurs.

"Pendant la foire, il n'y a pas ces restrictions qui empêchent d'ordinaire nos livres d'être vendus aux Emirats", a expliqué une responsable de Dar Al Saqi.


J'ai assisté à une conférence de l'Algérienne Ahlam Mosteghanemi, l'un des écrivains arabophones les plus populaires en raison de deux romans, Mémoires d'un corps et Chaos des sens, qui avaient fait sensation au Moyen-Orient pour leur ton très libre et sensuel.

On avait réservé pour sa venue une salle immense remplie de curieux et d'admirateurs, surtout des femmes émiraties qui brandissaient leur téléphone portable pour garder un souvenir du passage de l'écrivaine. Je dis qu'il y avait des curieux car j'avais à mes côtés deux jeunes, lui Palestinien, elle Tunisienne, qui n'avaient jamais entendu parler de Mosteghanemi et qui se trouvaient dans la salle un peu par hasard, "parce qu'(ils) suivaient le mouvement de la foule".

Après la lecture d'un texte un peu fourre-tout, évoquant Napoléon, Nasser et la Palestine, l'auteure de 59 ans a accordé une séance de signatures, digne d'une vedette de la chanson ou du cinéma. Cette cohue pour faire signer un livrer faisait plaisir à voir et contrastait avec la conférence de l'écrivain libyen Ibrahim al Koni qui, lors du dernier Festival de littérature de Dubaï, avait parlé devant une salle à peu près vide.

Ma caméra était en panne et je n'ai donc aucune photo de cette conférence ni de celle de l'Indienne Arundhati Roy qui avait lieu peu après dans une autre salle, hélas plus petite. Jamais je n'ai vu une salle aussi bondée. Même les soldats émiratis ont dû intervenir pour tenter d'endiguer le flot des Indiens venus écouter en famille l'auteure récompensée du Dieu des petits riens (Gods of small things, 1997). Elle n'est pas connue que pour ce roman, le seul qu'elle ait publié jusqu'à maintenant, mais aussi pour son activisme antinucléaire, anti-globalisation et anti-impéraliste (américain, indien...). Ses prises de position en faveur de l'indépendance du Cachemire lui ont valu d'être accusée en justice de "sédition".

L'écrivaine récuse cependant de toutes ses forces l'appellation "défenseur des droits de l'Homme", trop galvaudée à son goût et victime de manipulations "démocratiques" de la part de régimes répressifs.

C'était sans aucun doute la conférence la plus politique de cette foire, mais comme elle ne concernait en rien les révoltes arabes, tout était permis.

Arundhati Roy a parlé de son écriture, confiant travailler sur un deuxième roman, mais aussi et surtout de son engagement pour les plus démunis, contre les nombreuses injustices de ce bas monde. Elle a dénoncé les drones américains dont les bombardements tuent parfois plus d'enfants pakistanais que de terroristes. Sans qu'en parlent, selon elle, les grands médias occidentaux qui font, par contre, leurs choux gras de la tentative barbare d'assassinat de la petite Malala par les talibans.

Elle a enfin égratigné au passage la loi française sur la burqa: "Vouloir retirer de force à une femme la burqa qu'elle porte, c'est la déshabiller, ce n'est pas la libérer"...


mardi 30 octobre 2012

Muscat



Muscat est une ville blanche qui s'étire en langueur le long du Golfe d'Oman, une ville qui se couvre et se découvre au soleil entre des montagnes couleur chair. Impossible donc d'avoir une vue générale de cette cité de près de 800 000 habitants, sauf peut-être du haut des airs.



Pour qui arrive par la route en provenance de Dubaï, Muscat fait plaisir aux yeux. Si la ville est certes difficile à saisir du regard en raison de sa position géographique, elle étale des beautés simples, des villas festonnées et des édifices crénelés camouflant les climatiseurs derrière des moucharabieh. Rien de clinquant, d'artificiel et de m'as-tu-vu comme à Dubaï. Tout y est plus authentique, plus vivant, plus coloré.

La couleur. C'est justement ce qui frappe le plus l'oeil usé par le monochrome du Golfe. A Oman, le monde n'est plus en noir et blanc. Les villas prennent des couleurs le long des routes dès qu'on traverse la frontière. Les femmes peuvent se couvrir de couleur ciel ou d'orange, les hommes en faire de même avec les motifs de leur kumma, ce chapeau rond en tissu brodé que les Omanais auraient rapporté de leur ancienne "colonie" africaine, Zanzibar.



Dans les hôtels et les magasins, dans les rues et sur la corniche, il y a des Omanais qui travaillent, se prélassent ou discutent. Mais ils sont présents. Pas comme aux Emirats où les ressortissants locaux, largement minoritaires dans leur pays, semblent une race en voie d'extinction qu'on ne peut voir que dans les centres commerciaux et certaines entreprises publiques. Aux Emirats, la rue est indienne, afghane et pakistanaise. Pas à Oman.

Il faut dire que le Sultanat d'Oman est beaucoup moins riche en hydrocarbures que les autres Etats du Golfe, exception faite du Yémen voisin, pays le plus pauvre du monde arabe. Oman, c'est le royaume de l'encens, de la myrrhe et de la grenadine, où il faut travailler pour vivre. L'Etat n'a pas les moyens de subventionner son peuple comme on le fait par exemple aux Emirats.


Et c'est pour protester contre leurs conditions de travail et la corruption que des Omanais avaient fait grève et étaient descendus l'an dernier, au plus fort du "Printemps arabe", par centaines, voire par milliers, dans les rues de Muscat et de Sohar, une ville côtière où l'on extrait du cuivre. Après une série d'arrestations musclées (deux morts selon des sources officielles), un supermarché a été incendié à Sohar, un gouverneur a été congédié et le gouvernement a été remanié. Des peines de prison ont été prononcées contre des leaders du mouvement et des militants un peu trop critiques sur les réseaux sociaux. Et tout est officiellement rentré dans l'ordre. Du moins selon les médias locaux qui se contentent en général de rapporter les (beaux) faits et gestes du sultan Qaboos, doyen des chefs d'Etat arabes depuis la chute de Kadhafi.


Au pouvoir depuis 1970, le sultan sans femme ni descendance n'a toutefois rien d'un tyran (même s'il n'est pas un démocrate). Il a la particularité de se passionner pour la musique classique et c'est pourquoi Oman compte depuis 1987 un orchestre symphonique, le seul de la région composé uniquement de musiciens locaux. Pour l'alimenter, il a fallu aussi créer une école de musique où les enfants sont payés pour apprendre. Histoire de les intéresser à cette musique classique. La qualité de l'ensemble laisse à désirer tout comme parfois le talent et la motivation des petits musiciens omanais, selon deux de leurs professeurs, des Européennes rencontrées dans les travées de l'Opéra de Muscat.


Cet opéra, le sultan en rêvait depuis longtemps. Achevé il y a seulement quelques années, c'est une véritable perle architecturale fusionnant art arabe et tradition européenne. Et les plus grands noms de l'art lyrique y défilent pour des représentations devant des salles médusées, décontenancées et parfois clairsemées au retour de l'entracte.


J'ai assisté à un récital de la chanteuse Jessye Norman qui, accompagnée au piano, a interprété les grands classiques du répertoire américain, Porgy and Bess, Stormy Weather, etc. Je pensais que ce genre de concert attirerait surtout des expatriés et j'ai été surprise de constater le grand nombre de jeunes omanais et omanaises (ils ne se mélangent pas). La salle n'était toutefois pas pleine et, après l'entracte, elle l'était encore moins, surtout au parterre. Le pianiste a joué un solo de Duke Ellington, cinq minutes qui ont agacé au parterre un Omanais qui applaudissait sans discontinuer...bien avant la fin du morceau. Mais le bonheur de Jessye Norman de chanter sur scène est contagieux et a tout emporté...

Ce qui m'a impressionnée le plus à l'opéra, outre la voix de l'interprète, c'est le nombre affolant de gardes de sécurité en dishdasha déployés dans l'enceinte. Pour comprendre mon étonnement, il faut dire que je m'étais promenée un peu plus tôt dans la journée devant la caserne militaire chargée de protéger le palais présidentiel, construit au bord de l'eau, là où les Britanniques avaient jadis élu domicile, quelques siècles après les Portugais. Les soldats omanais allaient et venaient dans leur uniforme, souriants et affables, et l'un d'entre eux - que je questionnais sur la baie - me dit même de prendre autant de photos que je le voulais. Quand on sait tous les problèmes qu'on peut avoir dans le reste du monde si l'on photographie, même par mégarde, des positions militaires... Je ne me suis donc pas gênée pour immortaliser en cliché l'arrière du palais, protégé par des batteries anti-aériennes.






lundi 29 octobre 2012

Oman et la "Montagne verte"



Voici quelques photos de ma "traversée"de Nizwa et de la région montagneuse du Sultanat d'Oman qu'on appelle en arabe la "verte" (Jabal Akhdar) en raison de ses cultures en terrasses et de ses étroites vallées touffues de grenadiers. 

Lors de ses pérégrinations dans les déserts d'Arabie à la fin des années 1940, l'explorateur britannique Wilfred Thesiger raconte avoir été empêché de franchir ce territoire omanais qui était alors un imamat en conflit avec Muscat et interdit aux non-musulmans et étrangers. 

Le sultan dut même appeler en renfort dans les années 1950 l'aviation britannique pour reprendre le contrôle de cette région montagneuse, très difficile d'accès pour les fantassins et les chars de l'armée. Gardée par une clôture grillagée, la carcasse rouillée de ce qu'on présente comme un hélicoptère de combat britannique témoigne de cette guerre de cinq ans. La dépouille du pilote repose, dit-on, à côté des vestiges de l'appareil, dans un petit mausolée de pierres plates.






Vaincu en 1954 par les troupes du sultan, le dernier imam de cette dynastie ibadite (l'un des courants rigoristes les plus anciens de l'islam), Ghalib bin Ali, est mort en 2009 dans son exil saoudien, sans jamais avoir revu ses montagnes en dépit d'une amnistie.


On peut aujourd'hui accéder sans difficultés à ces montagnes par une route en lacets parfaitement pavée, agrémentée de voies de secours, si jamais les freins lâchaient pendant la descente. Sécurité oblige après maints accidents dans la région, dit-on, seuls les véhicules 4X4 sont autorisés sur cette route. Un barrage de l'armée installé à l'entrée du col se charge de faire respecter la loi.


L'armée semble d'ailleurs tenir fermement les rênes de cette région jadis "rebelle" où elle compte une vaste base militaire. Tous les guides touristiques semblent issus de ses rangs ou des forces de sécurité, peut-être, qui sait, l'un des plus importants employeurs de la région. Et personne ne peut avoir droit à un bout de terrain de la "Montagne verte" s'il n'en est pas originaire...


Natif de Nizwa, notre guide était officier ingénieur dans l'armée de l'air. Il nous fit écouter en voiture un discours enregistré du Sultan, histoire de nous faire comprendre qu'il n'y aurait pas de révolte à Oman contre celui qui est le doyen des chefs d'Etat arabes depuis l'éclatement du soi-disant "Printemps arabe".

Il est vrai que le sultan Qaboos, au pouvoir depuis 1970 après avoir renversé son père sans effusion de sang, a fait beaucoup pour son peuple en termes d'éducation et d'infrastructures, et ce, en dépit de ressources pétrolières limitées.


Parlant de la Syrie, un sujet qui fait l'unanimité contre Bachar al-Assad dans les pays du Golfe, j'ai été un peu étonnée par l'ignorance de notre guide qui n'avait aucune idée de ce qu'était la secte alaouite de Bachar, n'avait jamais entendu parler des Druzes ni de leur flamboyant chef libanais Walid Jumblatt, et ne soupçonnait sans doute pas même l'existence de chrétiens parmi les Arabes. Sur cette planète, savoir lire est une chose, mais pouvoir s'ouvrir à la diversité du monde en est une autre beaucoup plus ardue.


mardi 18 septembre 2012

Sur la route de Sharjah et Fujairah


Il suffit de rouler moins d'une heure pour que s'évanouisse la démesure artificielle de Dubaï. Loin des gratte-ciel, sur la route du désert parfois balayée par des serpents de sable, on traverse un paysage couleur plage fait de broussailles et de pylônes géants. Mais si on longe la côte vers Sharjah, l'Emirat voisin, plus pauvre et conservateur, les lumières de la ville nous accompagnent sans interruption, sauf que le décor d'apparat disparaît très vite pour laisser place à des immeubles trapus et une succession d'échoppes. Plus de femmes dans les rues, mais des hommes en shalwar kameez, cette longue chemise à collet que portent traditionnellement Pakistanais et Afghans. C'est un peu Kaboul, sans le désordre et la cohue des hommes circulant à pieds ou à vélo avec derrière une femme en burqa bleu ciel.

Sharjah
Sharjah est devenu une sorte de banlieue de Dubaï où ont élu domicile nombre d'expatriés asiatiques, ces "petites mains" qui font tourner la grande ville. Sharjah est le seul des sept Emirats à interdire sur son territoire la vente et consommation d'alcool depuis, dit-on, la mort du jeune prince héritier qui, grand amateur de tout ce qui étourdit, a succombé en 1999 à une overdose. L'alcool est interdit même dans les hôtels attirant malgré tout une vaste clientèle russe, trop pauvre pour s'offrir les palaces de Dubaï. Tellement qu'un riche entrepreneur ukrainien y a financé la construction d'une église orthodoxe aux bulbes bleus, la seule du genre dans tout le Golfe arabo-persique. Il faut dire, pour les amateurs de vodka, que Dubaï la "dégénérée" n'est pas très loin et que les hôtels organisent des navettes gratuites pour les centres commerciaux de la ville...

Sharjah
Mais la ville sans charme de Sharjah est, non sans paradoxe, surtout connue pour son rôle moteur aux Emirats et dans le Golfe dans la promotion de la culture, grâce à sa biennale des arts et son salon du livre. Cette ville de près d'un million d'habitants a même été déclarée par l'Unesco "capitale culturelle du monde arabe". Ses berges abritent un très joli musée de l'islam, un étonnant musée d'art, et la Barjeel Art Foundation de Sultan Sooud al-Qassemi (les al-Qassemi sont une grande tribu dont une branche règne sur Sharjah et une autre sur l'Emirat de Ras al Khaimah) qui y expose sa collection d'oeuvres d'art arabes contemporaines. Ce diplômé de l'Université américaine de Paris est un hyperactif des réseaux sociaux qui a connu son heure de gloire médiatique lors du "Printemps arabe". Il est plutôt discret sur la situation dans son propre pays, avec raison. La liberté d'expression y a bien sûr des limites, comme l'a montré le scandale de l'an dernier de la biennale de Sharjah qui a valu à son directeur d'être congédié par l'émir (un artiste algérien avait manqué beaucoup de subtilité concernant sexe et islam, deux tabous arabes). Mais ça, c'est une autre histoire.

Au bord du canal de Sharjah
Si on pousse le voyage plus loin vers le Golfe d'Oman, on arrive dans l'Emirat de Fujairah, niché entre deux portions de territoire du Sultanat d'Oman. C'est un bout de terre lunaire, inhospitalier à la vie, chargé de montagnes stériles de pierres plates et pointues, semblant prêtes à s'écrouler au moindre soubresaut. A part les éternels étals de choses inutiles le long d'une autoroute, il n'y a rien d'autre que le dénuement. Et c'est avec un peu d'étonnement qu'on croise au milieu de cette sécheresse de soudaines oasis et une usine siphonnant avec soin une source d'eau souterraine. Mais les apparences sont trompeuses dans les mondes arabes: cet émirat aride est en fait le plus "pluvieux" de toute la fédération en raison de son relief montagneux, ce qui lui permet même de procéder à des récoltes une fois l'an.

L'eau, même salée, c'est la vie. Et soudain, juste avant de prendre le dernier tournant avant de voir se déployer l'océan, il y a un gigantesque supermarché, plus vaste que tous ceux de Cuba réunis, puis une enfilade d'immeubles résidentiels. Le long de la côte se dressent plusieurs complexes hôteliers, dont l'architecture cadre parfois mal avec la toile de fond austère de montagnes bleutées qui, vue de loin, gagnent en beauté et en mystère.

Pêcheurs au large de Fujairah

Comptant à peine 140.000 habitants, Fujairah est pourtant d'une haute importance stratégique pour les Emirats car c'est le seul territoire de cette fédération bénéficiant d'un port sur le Golfe d'Oman. Un oléoduc transportant du pétrole saoudien vers le terminal de Fujairah a été mis en service récemment pour réduire le flux des pétroliers transitant par le détroit d'Ormuz, ce bras de mer reliant le Golfe arabo-persique au Golfe d'Oman que l'Iran menace régulièrement de fermer. Quand on sait que près de 40% de la production mondiale d'or noir passe par ce détroit, on comprend le rôle central que joue désormais ce terminal. Et il n'y a qu'à voir les dizaines et dizaines de réservoirs d'hydrocarbures qui s'étendent sur des kilomètres en périphérie de la ville pour s'en assurer.

Sinon il n'y a pas grand-chose d'autre pour le touriste dans cette ville assoupie, à part un fort datant du 16e siècle qui vient d'être restauré. Hamad bin Mohammed al-Sharqi règne depuis 1974 sur ce petit émirat - avec l'aide de son frère qui tiendrait la haute main sur les affaires commerciales -, ce qui en fait l'un des plus anciens dirigeants arabes encore en service.

Les sept émirs fondateurs de la fédération devant le fort de Fujairah
Revenir à Dubaï, c'est donc revenir un peu dans un autre monde. Un monde où beaucoup d'Emiratis, largement minoritaires sur leur propre terre, se sentent aliénés culturellement et socialement. J'aurai l'occasion de revenir plus amplement sur ce sujet, celui des disparités entre les sept émirats arabes unis, qui commence à devenir une source d'inquiétude pour les autorités dans la foulée du "Printemps arabe".

Une plage de Fujairah

mercredi 22 août 2012

Dubaï, un refuge pour les homosexuels arabes?


Dubaï est la ville de toutes les démesures et paradoxes. Qui aurait cru que ce petit Emirat conservateur, à quelques coudées de l'Arabie saoudite, deviendrait en quelque sorte un refuge pour les homosexuels arabes? Certainement pas Rania. Cette femme menue, le regard vif souligné au crayon noir, a quitté la Syrie il y a dix ans. Elle a vécu deux ans à Londres avant de s'installer à Dubaï où sa compagne, également syrienne, est venue la rejoindre. « Mon amie n'arrivait pas à obtenir un visa pour la Grande-Bretagne et je n'arrivais pas à trouver un emploi convenable à Beyrouth. Dubaï était notre dernier choix, mais nous ne le regrettons pas, nous avons trouvé ici une liberté qui nous aurait fait défaut dans tout autre pays arabe », dit Rania qui, à 46 ans, dirige une agence de publicité.

Cette liberté n'est pas celle de s'afficher publiquement -- l'homosexualité y est illégale comme dans tous les pays arabes --, mais de vivre sa vie loin des regards indiscrets. Dubaï, c'est un peu l'Amérique, une ville cosmopolite de deux millions d'habitants, où chacun vit dans son monde sans s'inquiéter des qu'en-dira-t-on. « Il y a ici un anonymat qui n'existe nulle part ailleurs dans le monde arabe. Je ne connais même pas mes voisins de palier, ce qui serait inimaginable à Beyrouth, à Damas, ou au Caire, où tout le monde se connaît », raconte Rania.

Lina, sa compagne depuis bientôt 15 ans, approuve. «A Dubaï, on peut tout faire tant qu'on reste discret». Les deux femmes n'ont de toute façon jamais eu l'intention de dévoiler au grand jour leur vie intime, sauf à quelques proches. Et cela ne s'est pas fait sans douleur. « Nos soeurs le savent et l'acceptent même si cela été difficile au début. Nos amies les plus proches ont été aussi informées et compréhensives, sauf quelques-unes qui refusent désormais de nous parler. Nos parents, ils sont d'une autre génération, ils ne comprendraient pas et ça leur briserait le coeur pour rien».


Si pour les homosexuels arabes, qu'ils soient Irakiens, Egyptiens ou Syriens, Dubaï est en quelque sorte un havre, il n'en est pas de même pour les Emiratis. Minoritaires sur leur terre (ils représentent environ 16% de la population), ils ne peuvent compter ni sur l'anonymat ni sur une attitude compréhensive de leurs proches alors que l'homosexualité est considérée comme une maladie honteuse.

Abdulla, un Emirati de 25 ans, en sait quelque chose. Parti étudier au Canada à l'âge de 17 ans, il discute un peu trop ouvertement de sa sexualité sur internet. Confronté par sa famille qui a eu vent de ses « affinités avec des invertis », il avoue son homosexualité. Sommé de rentrer au pays pour « subir un traitement hormonal», il refuse et demande au Canada le statut de réfugié, qui lui est accordé. Il a depuis coupé tous les ponts avec sa famille.

Voulant venir en aide à des compatriotes dans la même situation, il a mis en ligne l'an dernier sur les réseaux sociaux un groupe de défense des droits des homosexuels aux Emirats arabes unis. « Nous voulons juste que l'homosexualité soit dépénalisée, qu'elle ne soit plus qualifiée de maladie ».

L'homosexualité est pourtant bien présente, selon Abdulla, dans les Emirats et les autres pays du Golfe où, en raison d'une certaine ségrégation, il est parfois plus facile de rencontrer des gens du même sexe que du sexe opposé. « Certains hommes ont des relations homosexuelles occasionnelles par frustration, sans se considérer gay pour autant. C'est juste du sexe pour eux. Mais pour les Emiratis qui ont une attirance émotionnelle et amoureuse pour le même sexe, ils n'ont pas d'autre choix que de vivre une double vie, c'est-à-dire de se marier et de voir leur amant en cachette ».

« Si j'en juge par les menaces que nous recevons sur twitter, la religion joue certainement un rôle important dans la condamnation de l'homosexualité dans le monde arabe. En ce sens ce n'est pas très différent du Canada ou des Etats-Unis », estime encore Abdulla.

A Dubaï, il n'y a bien sûr pas de lieux de rencontre publics pour les homosexuels, pas vraiment de « bars ou de clubs » connus pour attirer une clientèle gay comme à Beyrouth. C'est sur les réseaux sociaux que les rencontres privées s'organisent. L'intervention de la police en 2005 dans un hôtel d'Abu Dhabi avait suscité bien des remous. Des 26 homosexuels arrêtés, quatre expatriés (un Indien, trois Arabes) avaient été déportés et un traitement hormonal avait été « proposé » aux 22 Emiratis, dont certains étaient « travestis en femme pour participer à un mariage gay », selon la police.

Abdulla ne regrette pas son choix de vivre sa sexualité "ouvertement" même si son pays lui manque parfois. Il sait que s'il était resté aux Emirats, il aurait dû mener, un peu comme Lina et Rania, une vie socialement « refoulée » au nom de sa liberté intime. « Il y a tellement de combats à mener dans le monde arabe pour les droits de l'Homme, qu'on ne sait plus par où commencer», soupire Rania.

samedi 9 juin 2012

Le Garçon qui voulait dormir

Le Garçon qui voulait dormir (2011 pour la version française) est le seul livre que j'ai lu de l'auteur israélien Aharon Appelfeld, et je l'ai trouvé beau et intéressant, assez pour avoir le désir d'en parler ici. Après tout, qu'on le veuille ou nous, qu'on soit pour ou contre, les histoires israéliennes font désormais partie du paysage arabe et influent avec plus ou moins de malheur sur leur politique, et ce, du Levant jusqu'au Golfe.

C'est l'histoire donc d'un garçon juif qui, au sortir de la la deuxième guerre mondiale, se retrouve en Italie dans un camp de "rééducation" juif, si je puis dire. Il s'agit de faire de ces jeunes rescapés des camps de la mort nazis des "hommes nouveaux", d'effacer leur passé immédiat, forcément tragique, et de leur donner une nouvelle identité hébraïque avant leur envoi en Palestine, alors sous mandat britannique. Un des personnages préfère se suicider plutôt que de perdre son identité. Le héros de l'histoire, lui, se réfugie dans le sommeil où il retrouve en rêves sa vie d'avant et discute de façon très réaliste de celle en cours avec ses parents, tués pendant la guerre. C'est très beau, très sensible, très poétique.

J'ai trouvé très intéressante la description de la formation militaire et idéologique de ces jeunes traumatisés par les violences inouïes de la guerre ou des camps. Pour eux, la guerre n'est pas finie. Elle continue sur une autre terre, en Palestine, où il faut tuer l'ennemi. Un ennemi qui n'est jamais identifié, un ennemi qui n'a pas d'identité, un ennemi vidé de son histoire, de son humanité et donc bientôt de son avenir. Jamais le mot Arabe ou Palestinien n'apparaît dans le livre. Cela dit beaucoup et permet de comprendre en partie toute la brutalité dont ont fait et continuent de faire preuve nombre d'Israéliens à l'égard des Palestiniens.

Je me souviens d'une "mission" en Cisjordanie. C'était en 2002, à l'époque où l'armée israélienne avait investi la mouqata, le QG de Yasser Arafat à Ramallah. J'avais été dépêchée dans une colonie, pas très loin de la ville de Naplouse, pour couvrir des funérailles. Une mère et trois de ses enfants avaient été tués par balles par un homme, un Palestinien, qui s'était infiltré de nuit dans leur maison. Le meurtrier, qui venait d'un village voisin, avait dû traverser plusieurs barrières et clôtures de sécurité pour rejoindre la petite colonie, une rangée de maisons en contreplaqué identiques, juchée sur une colline aride. Il avait dû déjouer la vigilance de soldats israéliens qui contrôlent les grands axes routiers de Cisjordanie et assurent la sécurité des colonies, ces métastases israéliennes sur des terres qui appartiennent pourtant de jure à la Palestine. Le tueur, un jeune homme d'une vingtaine d'années, devait bien comprendre en route qu'il ne reviendrait jamais sur ses pas, qu'il ne sortirait pas vivant d'une telle équipée meurtrière. Il avait tué d'une rafale un voisin des victimes qui avait accouru sur les lieux avant d'être lui même abattu par des soldats israéliens.

Le jour des funérailles avait été un nouveau jour de haine. Des colons s'en étaient pris à des officiers de Tsahal qu'ils accusaient de ne pas les défendre, ils s'en étaient aussi pris au photographe qui m'accompagnait, l'empoignant par le cou avant que des soldats interviennent. Une femme d'une trentaine d'années, portant la perruque des juives orthodoxes, m'avait prise à part. Elle était née et avait grandi à Londres avant de "suivre l'appel de Dieu et de retourner en Israël". "Retourner?" lui avais-je demandé. "Oui, retourner. C'est notre terre ici. Il n'y a pas d'autre peuple que notre peuple ici. Ceux-là sont venus après, pour nous voler nos terres", avait-elle dit en pointant le rectangle de misère et de poussière que formait en contrebas un village palestinien. Et c'est dans ce hameau où s'était rendu un groupe de colons après les funérailles pour incendier des échoppes et lyncher un Palestinien de 22 ans. Tout cela - un tueur est un tueur peu importe sa race, sa cause et sa religion - s'appelle du fanatisme. Il y a des fanatiques de toutes les couleurs, des fanatiques israéliens et palestiniens, des fanatiques saoudiens et américains pour qui tout est noir ou blanc, jamais gris, et c'est toujours un peu déstabilisant d'être en face de ces gens, car il n'y a aucune discussion possible, aucun raisonnement qui tienne devant leurs certitudes, toute parole saine et sensée se heurte à un mur. Et c'est bien à ça, à un mur, que ressemblent aujourd'hui ces contrées de soleil et d'oliviers.

mardi 22 mai 2012

Dubai, "garant" des droits de l'Homme...

Ce n'est un secret pour personne que les gratte-ciel de Dubaï se sont construits sur la sueur et parfois le sang de centaines de milliers de travailleurs asiatiques, en particulier indiens. Leurs conditions de vie et de travail souvent misérables ont été maintes fois dénoncées par des organisations de défense des droits de l'Homme. Ces conditions se sont améliorées au fil des ans et des dénonciations mais des lacunes demeurent, toujours selon des ONG. Et les nombreux suicides de travailleurs indiens sont là pour le rappeler (150 travailleurs indiens se sont suicidés en 2008 et 112 en 2010 selon l'ambassade d'Inde). 

Très sensible à tout ce qui pourrait ternir son image luxe, calme et volupté, Dubaï veut désormais s'afficher comme un "garant" des droits de l'Homme, du moins si j'en juge par ce grand panneau publicitaire que j'ai photographié dans le métro, à la station Burj Khalifa-Dubai Mall, l'une des plus fréquentées par les touristes. Et puisqu'on parle de droits, une ONG rapporte que 13 personnes qui avaient appelé à des réformes démocratiques aux Emirats sont actuellement détenues, sept d'entre elles qui avaient été naturalisées pourraient être déchues de leur nationalité et déportées... 


mercredi 16 mai 2012

Un code vestimentaire pour touristes et expatriés?

"Vous êtes les bienvenus mais respectez nos valeurs et traditions. Couvrez-vous".

A l'orée d'un été torride, c'est le mot d'ordre lancé sur les réseaux sociaux, notamment twitter, par des Emiratis choqués par les tenues légères - parfois carrément vulgaires - de certaines touristes ou expatriées dans les lieux publics. Les commentaires sur le sujet se sont multipliés au fil des jours ainsi que les appels de certains Emiratis pour la mise en place d'un "code vestimentaire" pour les étrangers. Les brochures touristiques de Dubaï mettent en garde contre le laisser-aller vestimentaire et les portes d'entrée des centres commerciaux affichent le même avertissement, mais qui leur prête attention? se plaignent des Emiratis. Les journaux locaux ont fait part de ce débat au nom de la "décence" et même l'ambassade britannique aurait appelé ses ressortissants à la "retenue"(de vêtements) en dehors de la plage...

Il faut dire que le contraste est grand dans les centres commerciaux de Dubaï - à peu près le seul endroit public où les étrangers peuvent croiser en grand nombre des Emiratis - entre des femmes parfois en niqab, ce voile intégral ne laissant voir que les yeux, et d'autres en mini-jupe. Si les premières sont musulmanes, les deuxièmes aussi peuvent l'être (pour ceux qui croient que se couvrir ou se découvrir, c'est seulement une question de religion).

Copyright S.A Briand
Copyright S.A. Briand
Tout ça pour dire que l'indécence ou son revers, la pruderie absolue (que voudrait bannir la France avec sa loi contre le voile intégral qui ne concerne qu'une infime minorité de Françaises), ne connaissent aucune frontière. L'être humain aura toujours du mal semble-t-il à trouver en tout un juste milieu. Je me souviens d'avoir vu il y a quelques années un reportage dans une station balnéaire française qui avait interdit aux baigneurs torse nu ou aux femmes en maillot l'accès aux cafés, supermarchés, etc.

Que cela console donc les Emiratis, largement minoritaires dans leur contrée et qui se sentent parfois "envahis", les débordements de chair de quelques touristes égarées parmi la masse d'étrangers sont peut-être un des prix à payer pour leur prospérité.

Ayrault, un nom un peu dur pour les Arabes...


La nomination de Jean-Marc Ayrault au poste de Premier ministre en France suscite déjà l'embarras dans les pays arabes... "Ayro", comme son nom se prononce en français, veut littéralement dire dans des dialectes arabes "son pénis" (excuse my French).

Les rédactions arabophones ont tenté d'échapper à l'indécence et au ridicule, sans toujours y parvenir. Al Jazeera écrit ainsi en titre: هولاند يعين أيرو رئيسا للوزراء. Ce qu'un Arabe pourra comprendre comme: Hollande nomme son (hum hum) comme Premier ministre.

Un journal arabophone de Dubaï, al-Bayan, a lui laissé tomber dans son titre le nom de famille du Premier ministre, trouvant beaucoup mieux de l'appeler tout simplement Jean-Marc.

Le grand quotidien libanais An-Nahar a contourné la difficulté en écrivant les lettres l et t terminant le nom du monsieur et qui sont muettes en français afin qu'Ayrault se prononce en arabe "ayrolt'". Le journal de référence du monde arabe, Al-Hayat, basé à Londres, a pour sa part retiré le y du nom pour faire Aro.

Une chaîne de télévision basée aux Emirats arabes unis a enfin fait circuler une note interne demandant à ses journalistes d'écrire en arabe non pas "Ayro", comme le voudrait l'usage en arabe, mais "Aygho".

Un vrai casse-tête donc que cette nomination pour les médias arabes qui doivent craindre plus que tout une visite du responsable français dans leur région...

PS: Il y a deux ans, l'Arabie saoudite avait refusé de recevoir le nouvel ambassadeur pakistanais Akhbar Zib, parce que son nom veut dire arabe rien de moins que "le plus gros pénis"... http://www.huffingtonpost.com/summer-qassim/who-has-the-akbar-zib_b_456304.html

mardi 15 mai 2012

Télévision sous surveillance

Une énième chaîne d'information en continu s'est ajoutée ce mois-ci sans tambour ni trompette au paysage médiatique arabe "post printemps arabe": Sky News Arabia (basée à Abu Dhabi), propriété du magnat australien Rupert Murdoch - en mauvaise posture en raison de l'affaire des écoutes illicites en Angleterre - et du prince milliardaire saoudien Walid ben Talal. Ce dernier devrait aussi lancer bientôt une nouvelle chaîne d'information financière en collaboration avec l'agence Bloomberg. Il y a déjà comme chaînes d'information en continu en arabe Al Jazeera (Qatar), Al Arabiya (appartenant à des Saoudiens mais basée à Dubaï), Al Alam (Téhéran), Al Hourra (Washington),  CNBC Arabia, France 24, BBC, Russia Today... Et j'en oublie.

Pourquoi tant de chaînes d'information en arabe? Parce que le marché est lucratif? Pas du tout. (Des gens du milieu parlent de déficits atteignant quelques milliards de dollars pour le millier de chaînes que comptent au total les pays arabes. Le vaste marché hispanophone est sans doute plus lucratif mais il ne compte que très peu de chaînes d'information internationales, ce qui montre son peu d'intérêt stratégique). Mais tout simplement parce que la télévision est dans les mondes arabes, cette zone stratégique clef riche en pétrole, un formidable levier politique et social comme l'a démontré ces dernières années la chaîne al-Jazeera. Le Liban me paraît une bonne illustration de cette situation: ce pays d'à peine 4 millions d'habitants, sans ressources naturelles, compte presque autant de chaînes de télévision qu'il a de partis politiques. Car si la télévision offre un reflet de la réalité, c'est presque toujours une réalité déformée par le prisme des idéologies ou des affiliations politiques, sociales ou religieuses. Et pas seulement dans les mondes arabes, Fox News aux Etats-Unis n'est certainement pas un modèle d'impartialité et d'objectivité dans sa "croisade" contre Barack Obama ou dans sa perception du conflit israélo-palestinien. La Russie n'a pas laissé libres très longtemps ses chaînes de télé après la chute de l'URSS...


La chaîne Al Arabiya se veut le fer de lance de la campagne de contestation contre les régimes syrien de Bachar al-Assad et iranien de Mahmoud Ahmadinejad. La chaîne multiplie les reportages et images très choquantes en provenance de Syrie - à nous donner le tournis et la nausée devant tant d'horreurs (je n'arrive plus à la regarder, tellement c'est trop) - mais ne dit mot sur la situation au Bahreïn où les troupes saoudiennes et émiraties avaient été envoyées en renfort pour mater des manifestants pro-démocratiques majoritairement de confession chiite. Al Manar, la chaîne du parti chiite libanais Hezbollah, présente les choses exactement à l'inverse d'Al Arabiya (le régime syrien "aimé de son peuple" est la victime de mercenaires dirigés par les "ennemis" de la résistance à Israël), insistant par ailleurs longuement dans ses bulletins sur la contestation au Bahreïn.

La liberté d'expression est toujours conditionnelle et réussit à se faire entendre plus ou moins selon ses thèmes (la religion, le sexe, sont des tabous) et les régimes. Les mondes arabes ne font pas exception à cette règle. On y constatera un vrai changement, une vraie "révolution", le jour où les grandes chaînes arabes témoigneront de façon professionnelle, éthique, critique, de ce qui se passe chez elles, dans leur propre pays, dans leur propre "camp".


  

lundi 30 avril 2012

Cimetière de voitures

Rien n'est peut-être plus éloquent de Dubaï que son cimetière de voitures.

Quelque 1.400 voitures de toutes les marques et de tous les prix sont en moyenne abandonnées chaque année par leurs propriétaires, selon la police. Des Mercedes, des BMW, des Aston Martin, des Audi, des Jaguar, des Porsche, se retrouvent parfois comme des épaves échouées sur le parking de l'aéroport de Dubaï par des expatriés frappés par un soudain revers de fortune. Qui sait, il y a peut-être aussi des riches trop riches qui se départissent ainsi de leur voiture de luxe plutôt que de s'embarrasser des tracas et formalités pour la revendre.

Les voitures orphelines, reconnaissables souvent à l'épaisse couche de poussière qui les recouvre, sont récupérées par la police qui les revend à des enchères très attendues par les amateurs de bonnes affaires. Ces derniers étaient en émoi la semaine dernière quand a couru la rumeur de la vente aux enchères d'une Ferrari Enzo, un modèle rare estimé sur le marché à 1 million de dollars. Plus de 320 voitures ont été vendues à rabais, rapportant plus de 3 millions de dollars aux autorités (et des poussières sans doute à leur ancien propriétaire qui recueille selon la loi ce qui reste du paiement de leurs dettes et des frais administratifs et judiciaires encourus par les autorités), mais la Ferrari Enzo n'était pas du lot. Son tour devrait toutefois venir cet automne, d'après la police qui n'a rien dévoilé sur son malheureux (?) propriétaire. Selon la presse locale, il s'agirait d'un Britannique croulant sous les dettes et surtout les contraventions. Ce qui est sûr, c'est que la voiture trouvera un acheteur, au contraire de certains tacots qui se retrouvent au dépotoir ou, comme plus de 200 d'entre eux en 1988, jetés à la mer.

Mais il ne faut pas s'en faire, la mort rend aussi les voitures égales entre elles: la Ferrari risque de finir ses jours comme tout ce qui rutile, rouillée au fond des eaux ou dans un cimetière de ferraille.

(P.S. Il n'y a pas que des voitures à être mises aux enchères par les autorités émiraties, il y a aussi des villas et même un avion russe Iliouchine Il-76...)


mardi 17 avril 2012

Thesiger et la Fin d'un Monde

Wilfred Thesiger (1910-2003)

La fin d'un monde arrive parfois dans un battement d'aile. En l'espace de moins de quarante ans, le mode de vie des Arabes du Golfe a basculé de façon radicale. L'opulence a fait oublier la misère, l'obésité a supplanté la maigreur, les jeeps ont remplacé les chameaux, des maisons en dur ont été construites au lieu des tentes, les pêcheurs de perles ont disparu au profit des prospecteurs de pétrole, des villes climatisées ont surgi du désert que viennent désormais contempler des touristes en manque de mysticisme...

Quand l'aventurier britannique, un peu espion, un peu tête brûlée, Wilfred Thesiger revit en 1977 pour la première fois Oman et Abu Dhabi depuis ses traversées du désert à la fin des années 1940, racontées dans son livre "Arabian Sands", il eut l'impression d'être devant un "cauchemar arabe". Il y a certes parfois de la condescendance dans les récits de voyage européens. Thesiger, c'est encore l'"homme blanc civilisé" parti à la recherche du "bon sauvage". Les bédouins, écrit-il, sont "des sauvages héritiers d'une longue civilisation". Sous l'oeil de sa caméra, les Arabes ont un peu les traits des "derniers" Amérindiens, ceux-là qui tentaient encore de parcourir en nomade l'Amérique à la fin du XIXe siècle avant d'être parqués dans des réserves comme du bétail. Les "derniers" Arabes ont le teint mordu par le soleil, les cheveux longs recouverts par un foulard ou laissés libre au vent, ils sont sales, hirsutes, pieds nus, et posent toujours avec le fusil qui leur sert à se protéger des bêtes et des tribus rivales qui sillonnent la région. Comme les Indiens d'Amérique, ils respectent plus que tout le courage et la générosité dans l'adversité. Mais là s'arrête sans doute la comparaison entre les deux peuples. Les Indiens d'Amérique n'ont pas connu les rigueurs et les raffinements de la civilisation de l'islam, mais une christianisation qu'ils ont souvent rejetée, car cette religion venue du Proche-Orient, tout à fait étrangère à leurs moeurs et à leur culture, marquait un pas de plus dans leur déclin face à des hordes d'Européens toujours plus nombreux et sans pitié pour ces "sauvages".

Wilfred Thesiger Collection
Thesiger raconte dans "Arabian sands" un monde irrémédiablement révolu mais qui aide à comprendre le parcours des sociétés issues du désert, comme celle des Emirats arabes unis, leur sens de l'hospitalité, de l'honneur et de la démesure, leur générosité mais aussi leur intolérance pour tout ce et tous ceux qui s'écartent de la norme. C'est le groupe qui compte, pas l'individu (en ce sens, l'abaya et la dishdasha tiennent tout à fait de l'uniforme qui a pour but de donner une identité à un groupe et de masquer l'identité individuelle). Sur l'hospitalité, un épisode du livre est remarquable. Thesiger confie son désarroi quand, affamé, au bord de l'épuisement après avoir tourné pendant près d'un mois dans le désert, il voit lui échapper le lièvre qu'il s'apprêtait à manger avec ses deux compagnons arabes. C'est qu'au moment où le lièvre grillait sur le feu, trois hommes étaient apparus au loin sur leur chameau. Il fallait les accueillir en assurant qu'on avait déjà mangé, qu'on était rassasié, que ce lièvre était pour eux. Un exercice de renonciation très difficile quand la faim nous tenaille.


Wilfred Thesiger Collection
Ce qui frappa aussi Thesiger, c'est la relation complexe qu'entretenaient les Arabes avec leurs esclaves. Ces derniers, écrit-il, "portent parfois de riches habits", peuvent se montrer insolents à l'égard d'un membre d'une tribu autre que celle de leur maître et "manger aux côtés du maître qui les sert parfois lui-même". L'islam a joué sans aucun doute un rôle bénéfique à cet égard. L'esclavage a été aboli dans les années 1960 aux Emirats arabes unis. Les esclaves, pour la plupart d'origine africaine, ont été affranchis sans heurts, ils ont reçu la nationalité, le nom de famille de leur ancien maître, et tous les privilèges accordés aux Emiratis. Il n'y a pas de barrière de "race" apparente comme dans le sud des Etats-Unis, plus d'un siècle après la guerre de Sécession. Mais c'est un passé qu'on veut tout de même oublier, consciemment ou non. Au musée d'histoire de Dubaï, l'esclavage n'est pas un thème. Et quand on raconte l'histoire des pêcheurs de perles, on omet très souvent de dire que beaucoup d'entre eux étaient des esclaves noirs.

La force des Arabes, c'est d'avoir su attirer sur leurs terres arides des gens de partout pour y construire un monde nouveau. Ce n'est certainement pas le "cauchemar arabe" qu'avait vu Thesiger à son retour dans la région, mais ce nouveau monde très matérialiste n'est pas non plus un paradis, loin de là. Ces Arabes qui vivaient il y a à peine 50 ans dans des conditions extrêmes, avec à peine de quoi se nourrir et boire, connaissent aujourd'hui le confort. Sans même avoir besoin de travailler parfois. Ils ne voudraient sans doute pour rien au monde revenir en arrière. Même s'ils sont devenus largement minoritaires dans leur propre pays et qu'ils doivent parler anglais s'ils veulent se faire servir dans les cafés, les supermarchés, les hôpitaux... Selon une étude d'une université émiratie, beaucoup d'enfants émiratis, élevés en anglais, sont incapables de converser avec leurs grands-parents qui ne parlent que le dialecte local. Les Emiratis connaissent désormais les problèmes liés à la "modernité": hausse du taux de divorce (un sur trois), baisse du taux de natalité.... C'est peut-être le prix à payer pour la prospérité.

Dubaï 2012 Copyright Sylvie A Briand

jeudi 5 avril 2012

Ces Chrétiens qui vivent aux Emirats

A l'entrée du complexe catholique Sainte Marie
Le révérend Dilkumar sourit modestement quand on lui dit qu'il incarne "l'une des plus grandes réussites chrétiennes" dans le golfe Arabique. Une réussite qui pourrait sembler paradoxale sur cette terre d'islam mais qui porte les couleurs excentriques de Dubaï... Ce Sri lankais de 59 ans, le teint sombre, le corps svelte, a connu son "chemin de Damas" dans la plus cosmopolite des villes arabes. Ingénieur civil, il quitte son île en 1983 pour s'installer dans l'Emirat. Il travaille pour "une grande multinationale" mais sa vie est un chaos. Il boit trop et accumule les ennuis financiers et de santé. Invité par un ami à assister à une séance de prières dans la maison d'un particulier, il est "foudroyé par Dieu". Pendant sept ans, il prie, il regarde, il écoute. En 1991, il fonde "sur ordre de Jésus" sa propre église évangéliste, la "King's revival Church". Au début, il prêche devant cinq fidèles chez lui à la maison. Mais la nouvelle de ses "miracles" se répand aussi vite qu'on construit des tours à Dubaï. Aujourd'hui, ils sont des milliers de toutes les "nationalités chrétiennes" à venir le voir et l'entendre, mais aussi et surtout pour qu'il pose ses mains sur eux, les malades, les sourds, les aveugles, les paralysés, les désespérés. "Jésus m'a donné son pouvoir, le pouvoir de guérir avec son amour". Le révérend l'affirme de sa voix grave, profonde, mélodieuse, une voix envoûtante qu'il a dû beaucoup travailler. Quand il me raconte son histoire, c'est comme s'il avait devant lui un millier de fidèles. Son regard cherche un horizon sans jamais s'arrêter sur moi, il répète des mots, des phrases qu'accompagne une chorégraphie très étudiée des bras et des mains.

C'est dans les bureaux exigus de son organisme de charité que le révérend m'a reçue. Rien de luxueux. Seule une plaque près de la cage d'escalier au rez-de-chaussée d'un édifice commercial indique la "fondation" du révérend. Drôle d'endroit pour un organisme de charité. Même le taxi qui me conduisait dans cette zone industrielle d'entrepôts et de garages s'est perdu. C'est Philip le Philippin, jeune adjoint du révérend et lui-même pasteur, qui a dû venir à ma rescousse dans sa jolie voiture sport rouge. L'organisme de charité est officiellement enregistré auprès des autorités, pas l'église qui oeuvre sous l'égide de l'Eglise anglicane, la Holy Trinity Church, m'explique le révérend. Selon l'administrateur de l'Eglise anglicane, "120 groupes" évangélistes oeuvrent aux Emirats sous le couvert de la Holy Trinity Church. Mais c'est le révérend Dilkumar qui a le succès le plus éclatant. Il est désormais à la tête d'une équipe de 32 pasteurs répandant la bonne parole dans une dizaine de langues, de l'ourdou au tagalog en passant par l'arabe, pour plus de 8.000 membres à travers les Emirats. Il compte aussi 242 missions à l'étranger, il a ses émissions de télévision en Afrique et en Asie comme les preachers américains et un magazine qui cite abondamment les témoignages des "miraculés". D'où lui vient son argent? "Des dons des fidèles", répond-il tout de go. Les "miracles" sont gratuits, mais l'espoir d'un "miracle" peut parfois payer beaucoup.

Le révérend Dilkumar donne la bénédiction aux fidèles après la messe
Retour dans la voiture rouge de Philip. Il me reconduit chez moi sur une route à plusieurs voies qui s'étire tout droit dans le désert. La seule chose qu'il n'aime pas de Dubaï, c'est la chaleur, l'été. Il est très content de travailler à temps plein pour l'Eglise. Le boulot ne manque pas. Dubaï, c'est très bien pour la religion. Il y a tellement d'expatriés esseulés qui sont venus dans cette ville occuper les petits métiers que personne ne veut. Ils triment dur douze heures par jour comme domestiques, chauffeurs de taxi, serveurs, livreurs. Ils versent une partie de leur salaire à leur famille restée au pays qu'ils visitent une fois par an, si tout va bien. Il y a aussi des riches rattrapés par leur conscience, la maladie ou une tragédie. "Ces gens-là ont besoin d'amour et d'espoir, ils ont besoin de Dieu, de la parole de Dieu qui est pour tout le monde", dit Philip qui ne serait pas étonné si des musulmans et des hindous se glissaient parfois en douce dans l'assistance. "Ici, les chrétiens sont libres tant qu'ils respectent la loi. Ce n'est pas comme en Arabie saoudite". Il connaît plein d'histoires de Philippins qui, embauchés comme domestiques au royaume des Saoud, se sont fait attraper, les yeux fermés, les mains jointes, dans une réunion de prière clandestine. Ni une ni deux, manu militari ils ont été incarcérés puis déportés. L'Arabie saoudite interdit toute autre religion que l'islam sur son sol, berceau de Mahomet. Philip me dépose devant chez moi. "Il faut absolument venir à l'office pour le jour des Rameaux" qu'on marque à Dubaï le vendredi, jour férié, et non le dimanche, jour ouvrable.

Les fidèles du révérend Dilkumar (copyright Sylvie A. Briand)
Le complexe protestant placé sous la tutelle de l'Eglise anglicane, la Holy Trinity Church, se trouve sur la rue Oud Metha, un quartier d'églises, d'hôpitaux et d'écoles pour étrangers. Une centaine de groupes évangélistes comme la King's Revival Church, des "Born again" et autres, y défilent les uns après les autres dans des salles surchargées de fidèles qui se regroupent souvent selon leur nationalité et leur langue: philippins, coréens, indiens, pakistanais, sri lankais, égyptiens, sud-africains, etc. Les Coptes disposent aussi d'un lieu de prière dans ce complexe. Il faut monter un escalier étroit jusqu'au deuxième étage d'un édifice, encombré au premier palier par des vendeurs d'encens et d'icônes et, plus haut, aux portes de l'église, par des vendeuses de pain, de gâteaux et de pâtés. Les enfants courent, les parents parlent un peu trop fort, on manque d'espace, c'est un peu l'Egypte. La messe est finie, c'est l'heure de la catéchèse. Comme il n'y a pas d'autres locaux disponibles, on met les plus petits dans un coin, les jeunes filles dans un autre, les parents restent derrière à discuter les nouvelles du jour, on s'entend mal dans cette cacophonie "mais que faire?", lance une responsable.

Copyright Sylvie A Briand
Les Emirats arabes unis font preuve de plus de tolérance à l'égard des chrétiens que l'Arabie saoudite ou même l'Egypte. C'est facile, certains diront, puisque les chrétiens ne sont que de passage dans les pays du Golfe qui ne "nationalisent" jamais les expatriés, même s'ils sont nés et ont grandi sur leurs terres. Mais pour un Copte, vivre à Dubaï, c'est pouvoir pratiquer sa religion sans crainte de harcèlement ou de discrimination. "Aux Emirats, si nous suivons la loi, nous n'avons pas de problèmes. La loi nous protège. En Egypte, même si nous suivons la loi, nous nous faisons attaquer", estime un ingénieur sur les bancs de la petite église copte.

A une cinquantaine de mètres de la Holy Trinity Church, pas très loin de la station de métro Oud Metha, se dresse le complexe catholique Sainte-Marie, sous la juridiction du Vatican. Moi qui ai l'habitude des églises vides du Québec, jamais je n'ai vu rassembler autant de chrétiens, majoritairement des Libanais, Syriens, Palestiniens mais aussi des Arméniens "libanisés". A l'extérieur, des centaines de Philippins attendaient leur tour et leur messe en tagalog en cherchant un peu d'ombre. Les Arabes ont fini par sortir, rameaux en main, pour entamer une brève procession à l'intérieur de l'enceinte de l'église. Leurs chants se perdaient sous la harangue sonorisée d'un imam faisant office dans la grande mosquée d'en face. Sur le chemin du retour, nous croisions des hommes en shalwar kamiz, l'habit traditionnel afghan et pakistanais, qui, en retard pour la prière du vendredi, marchaient à grands pas vers la mosquée.

Procession devant l'église Sainte Marie, derrière, une mosquée 
Il y a au total 34 églises sur le sol émirati (Al Ain, Abu Dhabi, Sharjah, Fujeirah, Ras al Khaimah...) pour des chrétiens qui forment environ 9% de la population. A Dubaï, les chrétiens disposent depuis quelques années d'un autre complexe multi-confessionnel (protestant, catholique, orthodoxe), installé un peu en retrait de la ville, dans une zone désertique sur la route du grand port industriel de Jebel Ali. C'est plus grand et confortable que les églises d'Oud Metha, mais aussi moins pratique et plus difficile d'accès pour les croyants sans voiture. "Qu'on soit si loin, ça dit beaucoup", résume un avocat libanais. Les cloches sont interdites tout comme les signes chrétiens "ostensibles"qui pourraient être vus de l'extérieur du complexe. On trouve tout de même sur les murs et les façades des motifs très stylisés qui pourraient très bien ressembler à une croix. Les processions ne doivent bien sûr pas franchir le portail de l'enceinte et tout prosélytisme est interdit alors que, faut-il le rappeler, un musulman qui abandonne sa religion pour une autre pourrait être en danger de mort.

J'ai toujours pensé que les sociétés arabes sont à l'image de leurs habitations traditionnelles: une façade propre et irréprochable, mais opaque, sans autre trouée qu'une large porte qu'on garde le plus souvent fermée. C'est à l'intérieur de l'enceinte, à l'abri des regards, que fleurit la vie libre, que les femmes se dévoilent, que les langues se délient, que les coeurs parlent. Les chrétiens apprennent à vivre comme les habitants du Golfe: on peut tout faire mais dans la discrétion et l'intimité. 

Les Coptes sont très fiers de leur grande église dans le complexe de Jebel Ali. Les bancs et l'autel sont faits avec du bois importé d'Egypte. Maguid vit depuis une trentaine d'années à Dubaï. Il raconte avoir rencontré une seule fois des problèmes liés à sa chrétienté. C'était à la fin des années 1980. Il travaillait alors dans une société de télécommunications et s'était lié d'amitié avec deux employés émiratis. Ces derniers l'ont un jour invité à venir prier avec eux à la mosquée, Maguid a décliné en expliquant qu'il était chrétien. "Ils étaient éberlués. Il m'ont dit n'avoir jamais parlé avec un chrétien arabe et que jamais ils auraient pu imaginer que j'en étais un puisqu'ils pensaient que tous les chrétiens étaient des gens mauvais", dit Maguid. Mais ses deux amis vont se montrer sans doute trop chaleureux à son égard devant un compatriote salafiste qui dénoncera Maguid à la police. "La police est venue m'interpeller en m'expliquant que quelqu'un m'avait accusé de prosélytisme. J'ai passé trois jours en prison avant d'être totalement blanchi et relâché. L'enquêteur de la police a été très bien. Il m'a dit de faire très attention à un tel au bureau, que c'était lui mon délateur. Celui-ci a fait six mois plus tard un très grave accident de moto qui l'a laissé paralysé. Un ami émirati m'a téléphoné pour m'annoncer cette nouvelle en me disant: tu vois, Allah n'aime pas les menteurs et les méchants, Il finit toujours par les punir".

L'église copte de Jebel Ali
Tant que les chrétiens ne partent pas à la conquête des musulmans, les Emiratis ne voient rien de répréhensible à leur présence. Ceux qu'ils redoutent, ce sont les musulmans chiites et non pas les chrétiens qui ne sont plus depuis longtemps une force politique dans les mondes arabes, même au Liban où ils ont été mis hors jeu par la guerre civile et les accords de Taef en 1989. On ne peut pas en dire autant des chiites. Ce sont eux aujourd'hui qui, par la force des armes, ont la haute main sur le Liban. Ce sont eux aujourd'hui qui dirigent Bagdad. Ce sont eux aujourd'hui qui se révoltent au Bahreïn et essaient de se manifester en Arabie saoudite pour réclamer plus de droits. Ce sont eux qui soutiennent le régime de Bachar al Assad, issu d'une minorité musulmane proche des chiites, les alaouites. Et derrière eux il y a souvent l'Iran, le plus grand pays chiite au monde, ennemi juré de l'Arabie saoudite et de ses alliés sunnites.

Aux Emirats arabes unis, les chiites (environ 15% des musulmans) doivent former leurs imams sur place, et non pas en Iran comme c'est la norme pour leurs confrères du Liban, d'Irak ou d'Afghanistan, et leur nomination doit être approuvée par les autorités locales. On raconte que les visas d'entrée au pays sont devenus extrêmement difficiles à obtenir pour les Arabes chiites ou alaouites.

Les chiites arabes ont toutefois une chose en commun avec les chrétiens arabes, ils se définissent par ce qui les distingue en tant que minorités, par ce qui les fait ou les a fait souffrir. Leur "arabité" n'est pas niée, mais elle est secondaire. Maryam est persécutée parce qu'elle est copte et non pas parce qu'elle est Arabe, elle se sent donc copte d'abord et avant tout; Ali est victime de discrimination parce qu'il est chiite et non pas parce qu'il est Arabe; il se sent donc chiite d'abord et avant tout et peut bien faire alliance avec les Perses. C'est la même chose partout. Au Canada, les francophones ont été discriminés parce qu'ils parlaient français et c'est pourquoi la langue - et non la religion catholique qu'ils ont pu toujours pratiquer librement - est au coeur de leur identité.

Le révérend Dilkumar bénit, lui, le ciel d'avoir été "transplanté sur cette terre gouvernée par des gens éclairés par l'esprit de tolérance et de concorde, l'esprit de Dieu". Une terre qui le laisse aller et venir à sa guise et dire ce qu'il veut de Jésus devant ses fidèles. Le reste ne l'intéresse pas. Il ne s'inquiète guère du récent appel du grand mufti saoudien, la plus haute autorité religieuse dans ce pays, à détruire les églises implantées dans le Golfe. L'Arabie saoudite est certes voisine des Emirats mais c'est un tout autre pays. "Je pourrais m'installer ailleurs, mais c'est ici que je me sens bien, où je veux rester avec mon épouse et ma fille. Je me sens ici en sécurité".