samedi 10 novembre 2012

La "Sharjah book fair", Mosteghanemi et Arundhati Roy


C'était la première fois que je visitais la foire du livre de Sharjah, l'une des plus importantes de la région. Elle permet au visiteur d'avoir un aperçu unique non seulement sur la création littéraire au Moyen-Orient, mais aussi sur celles en Inde et au Pakistan, dont les ressortissants forment la majorité de la population des Emirats arabes unis.

Des centaines de maisons d'édition du Maroc jusqu'en Inde en passant par le Liban ou l'Egypte avaient cette année installé leur kiosque au centre d'exposition de Sharjah. Il y avait des livres pour tous les goûts et sur tous les sujets, avec une section spéciale consacrée aux enfants et... à la cuisine. Même la police de Sharjah avait son kiosque.

La censure est quotidienne aux Emirats - il n'y a qu'à regarder un film à la télévision pour s'en rendre compte -  et cette foire est justement remarquable pour les livres "rares" qu'on y trouve. Ainsi la maison Dar Al Saqi, basée à Londres et à Beyrouth et dont les livres en anglais et en arabe sont pratiquement introuvables aux Emirats, pouvait exposer sans problème ses auteurs.

"Pendant la foire, il n'y a pas ces restrictions qui empêchent d'ordinaire nos livres d'être vendus aux Emirats", a expliqué une responsable de Dar Al Saqi.


J'ai assisté à une conférence de l'Algérienne Ahlam Mosteghanemi, l'un des écrivains arabophones les plus populaires en raison de deux romans, Mémoires d'un corps et Chaos des sens, qui avaient fait sensation au Moyen-Orient pour leur ton très libre et sensuel.

On avait réservé pour sa venue une salle immense remplie de curieux et d'admirateurs, surtout des femmes émiraties qui brandissaient leur téléphone portable pour garder un souvenir du passage de l'écrivaine. Je dis qu'il y avait des curieux car j'avais à mes côtés deux jeunes, lui Palestinien, elle Tunisienne, qui n'avaient jamais entendu parler de Mosteghanemi et qui se trouvaient dans la salle un peu par hasard, "parce qu'(ils) suivaient le mouvement de la foule".

Après la lecture d'un texte un peu fourre-tout, évoquant Napoléon, Nasser et la Palestine, l'auteure de 59 ans a accordé une séance de signatures, digne d'une vedette de la chanson ou du cinéma. Cette cohue pour faire signer un livrer faisait plaisir à voir et contrastait avec la conférence de l'écrivain libyen Ibrahim al Koni qui, lors du dernier Festival de littérature de Dubaï, avait parlé devant une salle à peu près vide.

Ma caméra était en panne et je n'ai donc aucune photo de cette conférence ni de celle de l'Indienne Arundhati Roy qui avait lieu peu après dans une autre salle, hélas plus petite. Jamais je n'ai vu une salle aussi bondée. Même les soldats émiratis ont dû intervenir pour tenter d'endiguer le flot des Indiens venus écouter en famille l'auteure récompensée du Dieu des petits riens (Gods of small things, 1997). Elle n'est pas connue que pour ce roman, le seul qu'elle ait publié jusqu'à maintenant, mais aussi pour son activisme antinucléaire, anti-globalisation et anti-impéraliste (américain, indien...). Ses prises de position en faveur de l'indépendance du Cachemire lui ont valu d'être accusée en justice de "sédition".

L'écrivaine récuse cependant de toutes ses forces l'appellation "défenseur des droits de l'Homme", trop galvaudée à son goût et victime de manipulations "démocratiques" de la part de régimes répressifs.

C'était sans aucun doute la conférence la plus politique de cette foire, mais comme elle ne concernait en rien les révoltes arabes, tout était permis.

Arundhati Roy a parlé de son écriture, confiant travailler sur un deuxième roman, mais aussi et surtout de son engagement pour les plus démunis, contre les nombreuses injustices de ce bas monde. Elle a dénoncé les drones américains dont les bombardements tuent parfois plus d'enfants pakistanais que de terroristes. Sans qu'en parlent, selon elle, les grands médias occidentaux qui font, par contre, leurs choux gras de la tentative barbare d'assassinat de la petite Malala par les talibans.

Elle a enfin égratigné au passage la loi française sur la burqa: "Vouloir retirer de force à une femme la burqa qu'elle porte, c'est la déshabiller, ce n'est pas la libérer"...


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