mardi 18 septembre 2012

Sur la route de Sharjah et Fujairah


Il suffit de rouler moins d'une heure pour que s'évanouisse la démesure artificielle de Dubaï. Loin des gratte-ciel, sur la route du désert parfois balayée par des serpents de sable, on traverse un paysage couleur plage fait de broussailles et de pylônes géants. Mais si on longe la côte vers Sharjah, l'Emirat voisin, plus pauvre et conservateur, les lumières de la ville nous accompagnent sans interruption, sauf que le décor d'apparat disparaît très vite pour laisser place à des immeubles trapus et une succession d'échoppes. Plus de femmes dans les rues, mais des hommes en shalwar kameez, cette longue chemise à collet que portent traditionnellement Pakistanais et Afghans. C'est un peu Kaboul, sans le désordre et la cohue des hommes circulant à pieds ou à vélo avec derrière une femme en burqa bleu ciel.

Sharjah
Sharjah est devenu une sorte de banlieue de Dubaï où ont élu domicile nombre d'expatriés asiatiques, ces "petites mains" qui font tourner la grande ville. Sharjah est le seul des sept Emirats à interdire sur son territoire la vente et consommation d'alcool depuis, dit-on, la mort du jeune prince héritier qui, grand amateur de tout ce qui étourdit, a succombé en 1999 à une overdose. L'alcool est interdit même dans les hôtels attirant malgré tout une vaste clientèle russe, trop pauvre pour s'offrir les palaces de Dubaï. Tellement qu'un riche entrepreneur ukrainien y a financé la construction d'une église orthodoxe aux bulbes bleus, la seule du genre dans tout le Golfe arabo-persique. Il faut dire, pour les amateurs de vodka, que Dubaï la "dégénérée" n'est pas très loin et que les hôtels organisent des navettes gratuites pour les centres commerciaux de la ville...

Sharjah
Mais la ville sans charme de Sharjah est, non sans paradoxe, surtout connue pour son rôle moteur aux Emirats et dans le Golfe dans la promotion de la culture, grâce à sa biennale des arts et son salon du livre. Cette ville de près d'un million d'habitants a même été déclarée par l'Unesco "capitale culturelle du monde arabe". Ses berges abritent un très joli musée de l'islam, un étonnant musée d'art, et la Barjeel Art Foundation de Sultan Sooud al-Qassemi (les al-Qassemi sont une grande tribu dont une branche règne sur Sharjah et une autre sur l'Emirat de Ras al Khaimah) qui y expose sa collection d'oeuvres d'art arabes contemporaines. Ce diplômé de l'Université américaine de Paris est un hyperactif des réseaux sociaux qui a connu son heure de gloire médiatique lors du "Printemps arabe". Il est plutôt discret sur la situation dans son propre pays, avec raison. La liberté d'expression y a bien sûr des limites, comme l'a montré le scandale de l'an dernier de la biennale de Sharjah qui a valu à son directeur d'être congédié par l'émir (un artiste algérien avait manqué beaucoup de subtilité concernant sexe et islam, deux tabous arabes). Mais ça, c'est une autre histoire.

Au bord du canal de Sharjah
Si on pousse le voyage plus loin vers le Golfe d'Oman, on arrive dans l'Emirat de Fujairah, niché entre deux portions de territoire du Sultanat d'Oman. C'est un bout de terre lunaire, inhospitalier à la vie, chargé de montagnes stériles de pierres plates et pointues, semblant prêtes à s'écrouler au moindre soubresaut. A part les éternels étals de choses inutiles le long d'une autoroute, il n'y a rien d'autre que le dénuement. Et c'est avec un peu d'étonnement qu'on croise au milieu de cette sécheresse de soudaines oasis et une usine siphonnant avec soin une source d'eau souterraine. Mais les apparences sont trompeuses dans les mondes arabes: cet émirat aride est en fait le plus "pluvieux" de toute la fédération en raison de son relief montagneux, ce qui lui permet même de procéder à des récoltes une fois l'an.

L'eau, même salée, c'est la vie. Et soudain, juste avant de prendre le dernier tournant avant de voir se déployer l'océan, il y a un gigantesque supermarché, plus vaste que tous ceux de Cuba réunis, puis une enfilade d'immeubles résidentiels. Le long de la côte se dressent plusieurs complexes hôteliers, dont l'architecture cadre parfois mal avec la toile de fond austère de montagnes bleutées qui, vue de loin, gagnent en beauté et en mystère.

Pêcheurs au large de Fujairah

Comptant à peine 140.000 habitants, Fujairah est pourtant d'une haute importance stratégique pour les Emirats car c'est le seul territoire de cette fédération bénéficiant d'un port sur le Golfe d'Oman. Un oléoduc transportant du pétrole saoudien vers le terminal de Fujairah a été mis en service récemment pour réduire le flux des pétroliers transitant par le détroit d'Ormuz, ce bras de mer reliant le Golfe arabo-persique au Golfe d'Oman que l'Iran menace régulièrement de fermer. Quand on sait que près de 40% de la production mondiale d'or noir passe par ce détroit, on comprend le rôle central que joue désormais ce terminal. Et il n'y a qu'à voir les dizaines et dizaines de réservoirs d'hydrocarbures qui s'étendent sur des kilomètres en périphérie de la ville pour s'en assurer.

Sinon il n'y a pas grand-chose d'autre pour le touriste dans cette ville assoupie, à part un fort datant du 16e siècle qui vient d'être restauré. Hamad bin Mohammed al-Sharqi règne depuis 1974 sur ce petit émirat - avec l'aide de son frère qui tiendrait la haute main sur les affaires commerciales -, ce qui en fait l'un des plus anciens dirigeants arabes encore en service.

Les sept émirs fondateurs de la fédération devant le fort de Fujairah
Revenir à Dubaï, c'est donc revenir un peu dans un autre monde. Un monde où beaucoup d'Emiratis, largement minoritaires sur leur propre terre, se sentent aliénés culturellement et socialement. J'aurai l'occasion de revenir plus amplement sur ce sujet, celui des disparités entre les sept émirats arabes unis, qui commence à devenir une source d'inquiétude pour les autorités dans la foulée du "Printemps arabe".

Une plage de Fujairah

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