samedi 30 novembre 2013

Les Emirats, l'Iran et les îles

C'est une exposition un peu particulière qui se déroule dans le lieu le plus populaire de Dubaï, son gigantesque centre commercial jouxtant la plus haute tour du monde, le Burj Khalifa. Dans le cadre de la fête nationale du 2 décembre, cette exposition raconte l'histoire du "premier martyr" des Emirats arabes unis, le commandant Salem Suhail Khamis tué par des "assaillants" lors de leur annexion des îlots de Tunb le 30 novembre 1971.  Qui sont ces "assaillants"? L'exposition ne le dit pas. "Tout le monde sait que ce sont les Iraniens. Nous ne l'avons pas mentionné par souci de diplomatie", explique une responsable émirienne.


L'histoire est simple et reste une épine dans les relations entre les Emirats arabes unis et l'Iran, pourtant partenaires commerciaux traditionnels. En novembre 1971, la Grande-Bretagne venait de retirer ses troupes des sises à l'embouchure du détroit d'Ormuz au terme de plus d'un siècle de "protectorat" sur cette région du Golfe. Sous les ordres du Shah, la marine militaire iranienne en profita alors pour prendre le contrôle des îles stratégiques de Tunb et d'Abu Musa.


Que cette exposition soit organisée alors que les relations des Etats-Unis et de l'Europe avec l'Iran semblent sur la voie de l'apaisement est sans doute une coïncidence. Après tout, ce n'est pas le régime iranien actuel qui à l'origine de cette annexion, mais son prédécesseur royal que soutenaient les Etats-Unis. Mais cette politique de passer sous silence le nom du "coupable" ou de l'"ennemi" n'est pas nouvelle. Ainsi aux Emirats - comme dans la plupart des pays arabes - le mot Israël se voit biffer au stylo des atlas - en anglais - mis en vente dans les librairies. Normal me direz-vous puisque les Emirats ne reconnaissent pas l'Etat hébreu qui a lui rayé de la carte la Palestine, et pas seulement à coups de crayon. Sauf que dans les rayons de la même librairie (la japonaise Kinokunaya), on peut se procurer sans problème une "Histoire d'Israël", les essais sur l'islam du très orientaliste et pro-israélien Benard Lewis ou encore le Mein Kampf d'Adolf Hitler. Devant ma perplexité, une amie arabe m'a dit en riant: "tu vois que nous sommes dans un pays libre..." 




mardi 22 octobre 2013

Poète en prison

La dictature est la mère de la métaphore, a écrit l'Argentin Jorge Luis Borges.

Il est un poète qatari qui, emporté par l'euphorie de la "Révolution du Jasmin" en Tunisie, n'a pas su manier la métaphore dans un pays où dire les choses crûment par leur nom peut vous valoir la prison. C'est bien ce qu'il a eu, la prison. Il a d'abord été condamné à la perpétuité puis à 15 ans de réclusion pour "insulte contre l'Emir" et appel au "renversement de l'ordre établi". Une peine que la justice a décidé de maintenir cette semaine.

Le poème incriminé - lu par son auteur lors d'une soirée privée puis mis en ligne par un convive - se voulait un "avertissement au pays dont les citoyens dorment/Un jour vous disposez de vos droits, le lendemain ils vont ont été pris".

"Les régimes arabes et ceux qui les dirigent / sont tous, sans une seule exception,/ une honte, des voleurs./ A cette question qui te tient réveiller la nuit/ tu ne trouveras pas de réponse sur les chaînes officielles:/ Pourquoi, pourquoi ces régimes/ importent tout de l'Occident/ tout sauf l'Etat de droit/ tout sauf la liberté".

Et le poète emprisonné, c'est Mohammed ben Dhib al-Ajami. Mohammed, "fils du loup iranien". Dans la guerre sainte que se livrent sunnites et chiites ou que certains voudraient qu'ils se livrent, un nom pareil, c'est bien assez pour se faire arrêter...

Avant cette affaire, Al-Ajami était un parfait inconnu hors des frontières du Golfe arabo-persique. La notoriété se paie parfois très chère pour les poètes. Il suffit de penser à feu Joseph Brodsky, jeune poète qui se tenait pourtant loin de la politique et qui a été condamné pour "parasitisme" par la justice soviétique. Il est revenu vivant de sa relégation dans le Grand Nord, a été expulsé d'URSS et est devenu une légende couronnée du prix Nobel. Les régimes (dé)font les poètes, c'est selon.

Al-Ajami peut ainsi se consoler dans sa geôle en pensant que tous les grands poètes ont été un jour ou l'autre des contestataires de l'ordre établi, que ce soit Hugo, Mandelstam, Qabbani... Beaucoup ont connu l'exil, d'autres la prison. Oui, les mots sont dangereux, et même la métaphore n'est parfois, de toute façon, d'aucun secours.

lundi 15 juillet 2013

Canon et rideaux pour le Ramadan



A l'heure où se cache le soleil, un coup de canon retentit dans le "downtown" Dubaï pour marquer la fin du jeûne et le début du repas tant attendu de l'Iftar. Depuis une semaine et pour encore près d'un mois, les musulmans doivent tout le jour s'abstenir de boire, de manger, de fumer, d'aimer. 

Par 50 degrés celsius de chaleur et des journées de treize heures, la tentation est forte de passer le temps en dormant. Et, la nuit venue, de jouer les noctambules jusqu'à l'aube. Les centres commerciaux ouvrent donc jusqu'à une heure du matin, et les cafés restent eux aussi ouverts toute la nuit, après leur fermeture diurne obligatoire. 

Bien sûr, Dubaï est une ville touristique. Les restaurants restent ouverts le jour dans les grands hôtels mais ne servent de l'alcool qu'à partir de 20h. Quant au DIFC, le centre financier très cosmopolite de Dubaï, des rideaux ont été installés devant les restaurants - ouverts - pour empêcher les jeûneurs de voir manger  les mécréants.  





Dans la plupart des grandes boîtes de Dubaï - qui travaillent au ralenti pendant le Ramadan, les employés n'étant pas tenus de travailler plus de six heures par jour -, le casse-croute a aussi été rangé à l'abri des regards derrière des rideaux. Il n'est vraiment pas bien vu de manger en public, c'est même illégal...

Je me souviens que lors de mes études d'arabe dans le royaume conservateur de Jordanie, on avait demandé aux étudiants non musulmans de s'abstenir de boire et de manger en public sur le campus, par respect pour les jeûneurs. Une étudiante russe, qui vivait sur le campus, avait voulu me montrer l'envers du décor. Elle m'avait emmenée dans un de ces restaurants populaires longeant la rue principale en face de l'université, tous fermés pendant la journée. Nous sommes passées par une porte dérobée derrière l'établissement, puis après un escalier ou deux, sommes entrées dans une salle obscure et enfumée, où tous les rideaux avaient été tirés sur un groupe de "tricheurs" jordaniens qui pompaient comme des désespérés leur cigarette ou sirotaient un café...  Comme quoi des tricheurs, il y en a partout.



dimanche 30 juin 2013

One Self-Made Man's Road in Troubled Afghanistan


        Pressistan isn't a central Asian country, yet it's the place where Sardar Ahmad found his way to success in a troubled Afghanistan. The 38-year-old resourceful man is the embodiment of those who refused to emigrate and surrender the country to wars, misery and the Taliban.
            As Afghanistan is the land of the Afghans, Pressistan is the "Land of the press". Ahmad established the company in 2009 to provide media services to foreign journalists, embassies and non-governmental organizations - practically the only foreign civilian visitors in the country these days. The tall, youthful man has a loud voice and a contagious smile which shines thanks to a golden tooth. His warm approach and ability to speak many languages have helped him overcome the country's woes and build a successful business in a war-torn city where most residents live in poverty.
            After decades of wars and conflicts in which leaders were brutally murdered, women were banned from public life and cultural activities were prohibited by the Taliban extremists, Afghanistan became a secluded, rough place where only the brave dared to go and stay.
            The road out of poverty has been long for Ahmad.
            The youngest son of an illiterate plumber and his illiterate housewife, he had nonetheless the chance "to have parents who valued education more than anything else. ``They sacrificed everything to send all of their nine children to school at a time when Kabul was a poor satellite of the Soviet Union,'' he said. ``What I remember the most of this period are the cartoons in Russian ; `the wolf and the rabbit' was my favorite show and I always made sure to be home at 6pm every evening to watch it. Now that the Soviet era is gone, I much prefer Bugs Bunny,'', he says with a smile. 
            Ahmad's father passed away when he was a teenager, leaving the family with few resources to make a living.
            ``We were poor, but so was everybody around us. I have to say that we had no idea about how people abroad were living, we thought everyone was poor like us,'' he said.  ``But we seemed to be content to have the little clothes or food that we had. We led quiet lives.''
            Ahmad was preparing to join Kabul University when the civil war broke out in Afghanistan in 1992.  ``The university was closed for some time and, anyway, I had no money to pay the tuition.''


            The Soviet army finally pulled out of Afghanistan in 1989 after ten years of occupation, leaving President Mohammad Najibullah and his army alone to fight the insurgency financed by the United States. Najibullah was finally deposed in 1992 and the Mujahiddin factions entered into a devastating war for the control of Kabul.
            During all these 10 years, Ahmad went from job to job, including stints at a jewellery shop and at the Kabul ``stock market,'' where he was trading currencies to earn a much-needed money to make ends meet and feed his family.
            ``When the Taliban entered Kabul in 1996, I actually celebrated because for me and for the rest of us here, we thought that this meant the end of the devastating civil war,'' he said. ``But I am now still looking for a word that would be worse that `worst' to qualify the Taliban! They forced us to live in a world where we could do nothing, except eat bad food and sleep. It was a dead life''
            Ahmad however never despaired. He kept saving money for private English lessons. He knew someday this would come in handy and help him get out of poverty. And this day came on September 11, 2001. That ``horrible'' day for America changed his life forever. The Talibans, who were sheltering Al-Qaeda's leader Usama bin Laden, America's number one public enemy, then faced a fierce bombing campaign by U.S. warplanes. The Northern Alliance, the U.S.-backed armed group opposing the Taliban, entered Kabul one month later.
            ``In the midst of all this violence, I found a job with a Japanese television crew as a translator and a fixer,'' he said. ``I worked with them for a year and then I was hired by a French news agency as a reporter to cover the daily press conferences at the U.S. army's Bagram base.''
            He had no prior training in journalism, and was learning it on the job.
            ``I kept re-writing English articles from the wire, the same one 20 times, over and over again, just to learn the technique, the way journalists write stories,'' he said. ``And guess what? After a while, I got a job as a real journalist with the French agency, and the `nobody' that I was suddenly became a `somebody:' a journalist!''
            Ahmad received two ``humanitarian'' awards for outstanding journalistic work, but he wanted to do more.
            ``I saw how foreigners had to rely on us locals for everything. And this is when I launched Pressistan as a company that would provide all kinds of services to foreigners, and because of the presence of so many foreigners in a country so rough like Afghanistan, our business is booming today.''
            "We provide security, drivers, translators, camera crew. We have a studio in our Kabul office to produce programs for provincial radio stations. We're doing media monitoring in English all over Afghanistan and we customize our services according to our clients, most of them western governments,'' he said.
            But Ahmad, ``a strong believer in democracy,'' doesn't brag about his success. He knows how fragile his kind of business is in a country where almost everything depends on foreign money and visitors. And with the planned departure of the NATO-led international troops at the end of 2014, he has of course some concerns about his future.
            ``I think it would be very stupid for the international community to leave this country just like this, without keeping a strong presence, after all the money they've spent here,'' said the father of three.
            Although Ahmad knows that Afghanistan isn't immune from any future armed conflicts, he is adamant about staying in his country.
            ``My brothers and one of my sisters live in Toronto, and they always exert pressure on me to join them in Canada, but I keep telling them that my life is here, and I know that if I had to go, I'd be again a `nobody.''

mardi 4 juin 2013

Le Musée des beaux-arts de Kaboul





    C'est un musée d'art gardé comme un secret derrière les hautes grilles d'une villa centenaire de Kaboul qui raconte à sa façon l'histoire tragique de l'Afghanistan, les guerres, les pillages, le fanatisme et la pauvreté.
     Au musée des beaux-arts de Kaboul, les toiles souffrent parfois de légères lacérations quand elles n'ondulent pas sous l'effet de l'humidité. Les salles agrémentées de fauteuils et sofas comme dans un salon sont toutefois dépourvues d'appareils de climatisation et l'éclairage se résume à une lampe suspendue au plafond.
     L'art figuratif occupe toutes les salles avec des natures mortes, des paysages, des scènes du quotidien et une galerie de portraits réchappée du passé.
     "Avant la guerre civile (1992-1996) et l'entrée à Kaboul des talibans en 1996, le musée comptait plus de 800 oeuvres, la plupart du 19e et 20 siècles, mais plus de la moitié ont été volées ou détruites", raconte une employée du musée, Sobra Rahmoni, 45 ans.
     Sous le régime des talibans, chassés du pouvoir en 2001, quelque 200 peintures ont été supprimées. "Les talibans n'aimaient pas les visages parce qu'ils disaient que toute représentation humaine, même animale, était interdite selon l'islam", raconte cette femme.
    "Ils avaient toutefois permis qu'on garde accrochés des tableaux représentant des scènes du quotidien, sauf qu'ils avaient voilé la partie du tableau montrant des gens", explique-t-elle.
     D'autres toiles ont été sauvées du désastre en gommant les représentations humaines avec de la peinture à l'eau, facile ensuite à enlever.
     "Jamais le musée a fermé ses portes, même pendant les bombardements de la guerre. Le musée et cette maison sont un peu les témoins de notre histoire", dit Mme Rahmoni qui travaille depuis son adolescence au musée. "Sauf pendant la période des talibans, précise-t-elle, les femmes n'avaient alors pas le droit de travailler".
                                        



     Le musée a ouvert ses portes en 1983, alors que le pays était sous occupation soviétique. Il est installé dans une villa de la fin du XIXe siècle dont le premier propriétaire fut l'illustre général Ghulam Haider Khan Tcharkhi.
     La famille Tcharkhi allait connaître un destin tragique à l'image du pays. Ghulam Nabi (1890-1932), fils du général et ancien ambassadeur en Union soviétique, a été exécuté le 8 novembre 1932 avec 17 membres de la famille Tcharkhi pour avoir fomenté un soulevèment des tribus pachtounes contre le roi Nadir Shah.
     Le roi lui-même allait être assassiné exactement un an plus tard par trois balles tirées à bout portant par un jeune étudiant hazara dont le père était un serviteur de Ghulam Nabi. On raconte que le garçon de 17 ans, Abdul Khaliq, fut horriblement torturé avant d'être à son tour exécuté.
       Un portrait de Nadir Shah se retrouve aujourd'hui accroché dans l'ancienne maison Tcharkhi... Une salle du musée plutôt récente est en effet consacrée aux dirigeants du passé: le dernier roi d'Afghanistan Zaher Shah, fils de Nadir, y côtoie notamment le général Daoud Khan qui l'avait déposé en 1973 pour devenir le premier président du pays.
     Le dernier dirigeant communiste du pays, Najibullah, figure également dans cette salle, lui qui a été renversé en 1992 par des chefs de guerre afghans moins de trois ans après le départ des troupes soviétiques, et exécuté en 1996 par les talibans qui venaient de s'emparer de Kaboul.
      Le seul absent de cette galerie de portraits est bien sûr le mollah Omar, le chef des talibans en fuite depuis la chute de son régime en 2001.


    "C'est un lieu chargé d'histoire qui devrait susciter plus d'intérêt", estime Mohammed Rafik, le nouveau directeur de la Galerie.
    Il aimerait échanger des oeuvres avec d'autres institutions, mais il avoue que sans accès à internet, le musée est coupé du monde.
    Malgré le manque de financements de l'Etat, ce musée compte aujourd'hui quelque 600 toiles de peintres afghans mais aussi des copies de peintres étrangers, grâce à des donations, selon M. Rafik.
    Une vingtaine de tableaux offerts il y a quelques années et "représentant des corps nus ne peuvent être présentés au public", précise Mme Rahmoni. A l'exception d'une copie d'un tableau italien, sombre et mal conservée, où l'on devine toutefois sans peine le torse nu d'une femme...







lundi 3 juin 2013

Kaboul Jan


Je n'avais pas foulé le sol afghan depuis six ans. Et Kaboul a bien changé.

Il y a eu une éruption de supermarchés et d'échoppes qui vendent de tout mais ne produisent rien, à part quelques fruits. L'électricité est intermittente et l'inflation, éreintante. Les inégalités sont plus criantes et les tensions communautaires entre les Pachtounes majoritaires et les Tadjiks réfractaires, sont plus inquiétantes.


Les rues défoncées appartiennent aux 4X4 des diplomates, des humanitaires, des journalistes, mais aussi des Afghans, ministres, députés et hommes d'affaires qui ont su profiter de la manne occidentale. Aux heures de pointe, les voitures, surtout des Corolla, s'agglutinent aux carrefours au milieu des mendiants, des enfants, des estropiés, des femmes ensevelies dans une burqa sale. Les femmes mieux nanties, elle, n'ont plus peur de sortir à visage découvert. Un châle suffit. Pour le reste, elles sont encore loin de conduire les rênes de ce pays, ne serait-ce que le seul volant d'une voiture. Mais c'est la démocratie, paraît-il. Et quelques unes siègent - la plupart en silence - au Parlement, ce rassemblement de conservateurs que l'on pourrait sans problèmes qualifier de talibans non armés.

Ce qui m'a le plus frappée, c'est l'émergence timide mais réelle d'une vie culturelle, rasée pendant la guerre civile et le régime des talibans.  Il y a désormais un Festival de rock à Kaboul, des rappeurs, des téléromans faits maison, des concours de poésie, des graffitis dénonçant l'oppression et la corruption... Et parmi ses artistes, ce sont de jeunes femmes qui tiennent le flambeau. Oui, Kaboul a bien changé.










dimanche 24 mars 2013

Dubai Art Fair 2013



La fièvre du "Printemps arabe" étant quelque peu retombée, l'édition 2013 de la Dubai Art Fair a été un peu moins faste en oeuvres politiques et engagées. Et peut-être est-ce la raison pour laquelle cette année aucune oeuvre n'a apparemment été retirée sur ordre des censeurs.

La foire des arts de Dubaï, la plus importante dans le Moyen-Orient avec la présence de 75 galeries de 30 pays, est certes un marché pour millionnaires et m'as-tu-vu dans la plus bling bling des villes du Golfe. Mais elle a le mérite de mettre en valeur des artistes issus des pays "émergents" d'Asie, d'Afrique et bien sûr du Moyen-Orient. C'est un peu le Sud qui découvre le Sud, comme a dit très justement une artiste.

La foire, qui s'est déroulée du 20 au 23 mars, s'est d'ailleurs faite l'écho de l'émergence de jeunes artistes dans les pays du Golfe, et notamment en Arabie saoudite, le plus riche en pétrole, en tabous et en interdictions de tous genres. Outre les artistes, deux galeries de Jeddah (Ouest de l'Arabie saoudite) étaient présentes à la foire, ainsi qu'une autre basée à Manama, capitale du royaume de Bahrein, qui représentait cependant des artistes étrangers.

Ahmed Mater (Arabie saoudite): L'évolution de l'homme

Abdulnasser Gharem (Arabie saoudite): Hommes au travail



Les oeuvres les plus engagées, les plus fortes, provenaient de Syrie, dévastée par une guerre civile ayant fait plus de 70.000 morts en deux ans. Un artiste syrien vivant toujours à Damas, Fadi Yaziji, avait fait le voyage pour présenter ses oeuvres, exposées par la galerie syrienne Atassi. Il n'avait bien sûr pas de commentaires à faire sur les événements dans son pays, où il devait rentrer après la Foire. "Posez vos questions aux toiles", a-t-il dit.

Fadi Yaziji

La galerie Atassi, l'oeuvre d'une Syrienne de Homs, Mouna Atassi, a fermé ses portes il y a six mois à Damas en raison de la situation. "Il n'y a plus du tout de vie culturelle à Damas", a expliqué Delphine Leccas, qui représentait la galerie Atassi. Cette jeune française arabisante avait sélectionné les oeuvres faisant partie du récent ouvrage "Syrie: l'art en armes". Mme Atassi s'est installée à Dubaï en attendant des jours meilleurs dans son pays, mais elle n'a pas l'intention d'ouvrir une succursale sa galerie dans cette ville du Golfe, selon Delphine Leccas.

Quant à la galerie syrienne Ayyam, elle a déjà pignon sur rue à Dubaï, Londres, Beyrouth et Jeddah. L'espace qu'elle occupe à Damas sert désormais de studio et d'ateliers aux artistes qui refusent de quitter leur pays en guerre.


Le désormais très célèbre "Freedom Graffiti" de Tammam Azzam faisant figurer sur une toile - grâce à photoshop - le Baiser de Klimt sur un immeuble en ruine criblé d'obus (la toile aussi est trouée). 

Safwan Dahloul

Safwan Dahloul, l'un des artistes syriens contemporains les plus célèbres, était également présent à la Foire de Dubaï, ville où il s'est installé pour pouvoir continuer son oeuvre en paix. L'exil est-il une entrave à la création, à son inspiration? "Je ne sors jamais. Je vais de ma maison à l'atelier et vice versa. Donc ça ne change pas grand-chose pour moi", a-t-il dit. Plusieurs de ses proches sont cependant toujours en Syrie.


Laila Shawa (Palestine): Où les âmes demeurent

Taraneh Hemami: Daneshjoo. La résistance en Iran représentée sur des éclats de verres
posés sur une planche de bois. 

Pour sortir un peu du Moyen-Orient, il y avait notamment les oeuvres en deux dimensions du Coréen Yi Hwan Kwon qui donnaient le vertige à regarder.


Yi Hwan Kwon

Yi Hwan Kwon


L'Afrique de l'Ouest était l'invitée d'honneur de la Foire cette année

Au même moment la XIe biennal de Sharjah battait son plein sans faire beaucoup de tapage, à l'image de ce petit Emirat, banlieue dortoir de Dubaï pour de nombreux expatriés indiens et pakistanais et le seul Emirat de la Fédération à interdire l'alcool sur son territoire. Yuko Hasegawa du Musée d'art contemporain de Tokyo, ancienne commissaire invitée de la biennal de Venise, avait été désignée directrice de cette biennal après le congédiement en 2011 de son prédécesseur, Jack Persekian, qui n'avait pas "survécu" à une oeuvre considérée "sacrilège" pour l'islam de l'artiste algérien Moustapha Benfodil. L'oeuvre avait été retirée et le commissaire limogé sur ordre du l'Emir de Sharjah lui-même, Sultan bin Mohammed Al-Qassimi, père de Hoor, la grande patronne de cette biennal. Le coeur historique de Sharjah avec ses maisons traditionnelles abandonnées par les Arabes ayant migré dans des villas plus confortables se transforme alors en une multitude de galeries. La biennal de Sharjah, la plus ancienne manifestation artistique des Emirats, est beaucoup moins commerciale et m'as-tu-vu que la Art fair de Dubaï, mais cette édition 2013 a été, à mon humble avis, très sage et peu audacieuse.

La Cène vue par l'artiste koweïtienne Shurooq Amin dont l'exposition "It's a Man's World" avait été censurée l'an dernier au Koweït. Dans une esthétique tape-à-l'oeil à l'image du style de vie des riches du Golfe, l'artiste dénonce notamment le machisme local et les hypocrisies de la société arabe. L'exposition "Popcornographic" est présentée par la galerie Ayyam à Dubaï.  

Les trois grands tabous des Emirats arabes unis - et des autres pays arabes - n'ont pas changé: sexe, islam et politique restent des intouchables, à moins de les aborder de façon subtile, sans provocation, de sorte que les censeurs n'y voient que du feu. Je me souviens d'une exposition d'art chinois contemporain à La Havane qui avait été examinée à la loupe par une délégation du ministère chinois de la Culture. Il y avait là, parmi les pièces présentées, un livre rouge en porcelaine. Très anodin à première vue sauf que les pages du livre étaient vides, effacées par le temps... Et les censeurs n'ont rien vu d'autre qu'une représentation du petit livre rouge de Mao comme le leur expliquait le commissaire...

La censure n'est-elle pas la mère de la métaphore comme l'écrivait Borges?