C'est une exposition un peu particulière qui se déroule dans le lieu le plus populaire de Dubaï, son gigantesque centre commercial jouxtant la plus haute tour du monde, le Burj Khalifa. Dans le cadre de la fête nationale du 2 décembre, cette exposition raconte l'histoire du "premier martyr" des Emirats arabes unis, le commandant Salem Suhail Khamis tué par des "assaillants" lors de leur annexion des îlots de Tunb le 30 novembre 1971. Qui sont ces "assaillants"? L'exposition ne le dit pas. "Tout le monde sait que ce sont les Iraniens. Nous ne l'avons pas mentionné par souci de diplomatie", explique une responsable émirienne.
L'histoire est simple et reste une épine dans les relations entre les Emirats arabes unis et l'Iran, pourtant partenaires commerciaux traditionnels. En novembre 1971, la Grande-Bretagne venait de retirer ses troupes des sises à l'embouchure du détroit d'Ormuz au terme de plus d'un siècle de "protectorat" sur cette région du Golfe. Sous les ordres du Shah, la marine militaire iranienne en profita alors pour prendre le contrôle des îles stratégiques de Tunb et d'Abu Musa.
Que cette exposition soit organisée alors que les relations des Etats-Unis et de l'Europe avec l'Iran semblent sur la voie de l'apaisement est sans doute une coïncidence. Après tout, ce n'est pas le régime iranien actuel qui à l'origine de cette annexion, mais son prédécesseur royal que soutenaient les Etats-Unis. Mais cette politique de passer sous silence le nom du "coupable" ou de l'"ennemi" n'est pas nouvelle. Ainsi aux Emirats - comme dans la plupart des pays arabes - le mot Israël se voit biffer au stylo des atlas - en anglais - mis en vente dans les librairies. Normal me direz-vous puisque les Emirats ne reconnaissent pas l'Etat hébreu qui a lui rayé de la carte la Palestine, et pas seulement à coups de crayon. Sauf que dans les rayons de la même librairie (la japonaise Kinokunaya), on peut se procurer sans problème une "Histoire d'Israël", les essais sur l'islam du très orientaliste et pro-israélien Benard Lewis ou encore le Mein Kampf d'Adolf Hitler. Devant ma perplexité, une amie arabe m'a dit en riant: "tu vois que nous sommes dans un pays libre..."
La dictature est la mère de la métaphore, a écrit l'Argentin Jorge Luis Borges.
Il est un poète qatari qui, emporté par l'euphorie de la "Révolution du Jasmin" en Tunisie, n'a pas su manier la métaphore dans un pays où dire les choses crûment par leur nom peut vous valoir la prison. C'est bien ce qu'il a eu, la prison. Il a d'abord été condamné à la perpétuité puis à 15 ans de réclusion pour "insulte contre l'Emir" et appel au "renversement de l'ordre établi". Une peine que la justice a décidé de maintenir cette semaine.
Le poème incriminé - lu par son auteur lors d'une soirée privée puis mis en ligne par un convive - se voulait un "avertissement au pays dont les citoyens dorment/Un jour vous disposez de vos droits, le lendemain ils vont ont été pris".
"Les régimes arabes et ceux qui les dirigent / sont tous, sans une seule exception,/ une honte, des voleurs./ A cette question qui te tient réveiller la nuit/ tu ne trouveras pas de réponse sur les chaînes officielles:/ Pourquoi, pourquoi ces régimes/ importent tout de l'Occident/ tout sauf l'Etat de droit/ tout sauf la liberté".
Et le poète emprisonné, c'est Mohammed ben Dhib al-Ajami. Mohammed, "fils du loup iranien". Dans la guerre sainte que se livrent sunnites et chiites ou que certains voudraient qu'ils se livrent, un nom pareil, c'est bien assez pour se faire arrêter...
Avant cette affaire, Al-Ajami était un parfait inconnu hors des frontières du Golfe arabo-persique. La notoriété se paie parfois très chère pour les poètes. Il suffit de penser à feu Joseph Brodsky, jeune poète qui se tenait pourtant loin de la politique et qui a été condamné pour "parasitisme" par la justice soviétique. Il est revenu vivant de sa relégation dans le Grand Nord, a été expulsé d'URSS et est devenu une légende couronnée du prix Nobel. Les régimes (dé)font les poètes, c'est selon.
Al-Ajami peut ainsi se consoler dans sa geôle en pensant que tous les grands poètes ont été un jour ou l'autre des contestataires de l'ordre établi, que ce soit Hugo, Mandelstam, Qabbani... Beaucoup ont connu l'exil, d'autres la prison. Oui, les mots sont dangereux, et même la métaphore n'est parfois, de toute façon, d'aucun secours.
A l'heure où se cache le soleil, un coup de canon retentit dans le "downtown" Dubaï pour marquer la fin du jeûne et le début du repas tant attendu de l'Iftar. Depuis une semaine et pour encore près d'un mois, les musulmans doivent tout le jour s'abstenir de boire, de manger, de fumer, d'aimer.
Par 50 degrés celsius de chaleur et des journées de treize heures, la tentation est forte de passer le temps en dormant. Et, la nuit venue, de jouer les noctambules jusqu'à l'aube. Les centres commerciaux ouvrent donc jusqu'à une heure du matin, et les cafés restent eux aussi ouverts toute la nuit, après leur fermeture diurne obligatoire.
Bien sûr, Dubaï est une ville touristique. Les restaurants restent ouverts le jour dans les grands hôtels mais ne servent de l'alcool qu'à partir de 20h. Quant au DIFC, le centre financier très cosmopolite de Dubaï, des rideaux ont été installés devant les restaurants - ouverts - pour empêcher les jeûneurs de voir manger les mécréants.
Dans la plupart des grandes boîtes de Dubaï - qui travaillent au ralenti pendant le Ramadan, les employés n'étant pas tenus de travailler plus de six heures par jour -, le casse-croute a aussi été rangé à l'abri des regards derrière des rideaux. Il n'est vraiment pas bien vu de manger en public, c'est même illégal...
Je me souviens que lors de mes études d'arabe dans le royaume conservateur de Jordanie, on avait demandé aux étudiants non musulmans de s'abstenir de boire et de manger en public sur le campus, par respect pour les jeûneurs. Une étudiante russe, qui vivait sur le campus, avait voulu me montrer l'envers du décor. Elle m'avait emmenée dans un de ces restaurants populaires longeant la rue principale en face de l'université, tous fermés pendant la journée. Nous sommes passées par une porte dérobée derrière l'établissement, puis après un escalier ou deux, sommes entrées dans une salle obscure et enfumée, où tous les rideaux avaient été tirés sur un groupe de "tricheurs" jordaniens qui pompaient comme des désespérés leur cigarette ou sirotaient un café... Comme quoi des tricheurs, il y en a partout.
Pressistan isn't a central Asian country, yet it's the place where Sardar Ahmad found his way to success in a troubled Afghanistan. The 38-year-old resourceful man is the embodiment of those who refused to emigrate and surrender the country to wars, misery and the Taliban.
As Afghanistan is the land of the Afghans, Pressistan is the "Land of the press". Ahmad established the company in 2009 to provide media services to foreign journalists, embassies and non-governmental organizations - practically the only foreign civilian visitors in the country these days. The tall, youthful man has a loud voice and a contagious smile which shines thanks to a golden tooth. His warm approach and ability to speak many languages have helped him overcome the country's woes and build a successful business in a war-torn city where most residents live in poverty.
After decades of wars and conflicts in which leaders were brutally murdered, women were banned from public life and cultural activities were prohibited by the Taliban extremists, Afghanistan became a secluded, rough place where only the brave dared to go and stay.
The road out of poverty has been long for Ahmad.
The youngest son of an illiterate plumber and his illiterate housewife, he had nonetheless the chance "to have parents who valued education more than anything else. ``They sacrificed everything to send all of their nine children to school at a time when Kabul was a poor satellite of the Soviet Union,'' he said. ``What I remember the most of this period are the cartoons in Russian ; `the wolf and the rabbit' was my favorite show and I always made sure to be home at 6pm every evening to watch it. Now that the Soviet era is gone, I much prefer Bugs Bunny,'', he says with a smile.
Ahmad's father passed away when he was a teenager, leaving the family with few resources to make a living.
``We were poor, but so was everybody around us. I have to say that we had no idea about how people abroad were living, we thought everyone was poor like us,'' he said. ``But we seemed to be content to have the little clothes or food that we had. We led quiet lives.''
Ahmad was preparing to join Kabul University when the civil war broke out in Afghanistan in 1992. ``The university was closed for some time and, anyway, I had no money to pay the tuition.''
The Soviet army finally pulled out of Afghanistan in 1989 after ten years of occupation, leaving President Mohammad Najibullah and his army alone to fight the insurgency financed by the United States. Najibullah was finally deposed in 1992 and the Mujahiddin factions entered into a devastating war for the control of Kabul.
During all these 10 years, Ahmad went from job to job, including stints at a jewellery shop and at the Kabul ``stock market,'' where he was trading currencies to earn a much-needed money to make ends meet and feed his family.
``When the Taliban entered Kabul in 1996, I actually celebrated because for me and for the rest of us here, we thought that this meant the end of the devastating civil war,'' he said. ``But I am now still looking for a word that would be worse that `worst' to qualify the Taliban! They forced us to live in a world where we could do nothing, except eat bad food and sleep. It was a dead life''
Ahmad however never despaired. He kept saving money for private English lessons. He knew someday this would come in handy and help him get out of poverty. And this day came on September 11, 2001. That ``horrible'' day for America changed his life forever. The Talibans, who were sheltering Al-Qaeda's leader Usama bin Laden, America's number one public enemy, then faced a fierce bombing campaign by U.S. warplanes. The Northern Alliance, the U.S.-backed armed group opposing the Taliban, entered Kabul one month later. ``In the midst of all this violence, I found a job with a Japanese television crew as a translator and a fixer,'' he said. ``I worked with them for a year and then I was hired by a French news agency as a reporter to cover the daily press conferences at the U.S. army's Bagram base.''
He had no prior training in journalism, and was learning it on the job.
``I kept re-writing English articles from the wire, the same one 20 times, over and over again, just to learn the technique, the way journalists write stories,'' he said. ``And guess what? After a while, I got a job as a real journalist with the French agency, and the `nobody' that I was suddenly became a `somebody:' a journalist!''
Ahmad received two ``humanitarian'' awards for outstanding journalistic work, but he wanted to do more.
``I saw how foreigners had to rely on us locals for everything. And this is when I launched Pressistan as a company that would provide all kinds of services to foreigners, and because of the presence of so many foreigners in a country so rough like Afghanistan, our business is booming today.''
"We provide security, drivers, translators, camera crew. We have a studio in our Kabul office to produce programs for provincial radio stations. We're doing media monitoring in English all over Afghanistan and we customize our services according to our clients, most of them western governments,'' he said.
But Ahmad, ``a strong believer in democracy,'' doesn't brag about his success. He knows how fragile his kind of business is in a country where almost everything depends on foreign money and visitors. And with the planned departure of the NATO-led international troops at the end of 2014, he has of course some concerns about his future.
``I think it would be very stupid for the international community to leave this country just like this, without keeping a strong presence, after all the money they've spent here,'' said the father of three.
Although Ahmad knows that Afghanistan isn't immune from any future armed conflicts, he is adamant about staying in his country.
``My brothers and one of my sisters live in Toronto, and they always exert pressure on me to join them in Canada, but I keep telling them that my life is here, and I know that if I had to go, I'd be again a `nobody.''
C'est un musée d'art gardé comme un secret derrière les hautes grilles d'une villa centenaire de Kaboul qui raconte à sa façon l'histoire tragique de l'Afghanistan, les guerres, les pillages, le fanatisme et la pauvreté. Au musée des beaux-arts de Kaboul, les toiles souffrent parfois de légères lacérations quand elles n'ondulent pas sous l'effet de l'humidité. Les salles agrémentées de fauteuils et sofas comme dans un salon sont toutefois dépourvues d'appareils de climatisation et l'éclairage se résume à une lampe suspendue au plafond. L'art figuratif occupe toutes les salles avec des natures mortes, des paysages, des scènes du quotidien et une galerie de portraits réchappée du passé. "Avant la guerre civile (1992-1996) et l'entrée à Kaboul des talibans en 1996, le musée comptait plus de 800 oeuvres, la plupart du 19e et 20 siècles, mais plus de la moitié ont été volées ou détruites", raconte une employée du musée, Sobra Rahmoni, 45 ans. Sous le régime des talibans, chassés du pouvoir en 2001, quelque 200 peintures ont été supprimées. "Les talibans n'aimaient pas les visages parce qu'ils disaient que toute représentation humaine, même animale, était interdite selon l'islam", raconte cette femme. "Ils avaient toutefois permis qu'on garde accrochés des tableaux représentant des scènes du quotidien, sauf qu'ils avaient voilé la partie du tableau montrant des gens", explique-t-elle. D'autres toiles ont été sauvées du désastre en gommant les représentations humaines avec de la peinture à l'eau, facile ensuite à enlever. "Jamais le musée a fermé ses portes, même pendant les bombardements de la guerre. Le musée et cette maison sont un peu les témoins de notre histoire", dit Mme Rahmoni qui travaille depuis son adolescence au musée. "Sauf pendant la période des talibans, précise-t-elle, les femmes n'avaient alors pas le droit de travailler".
Le musée a ouvert ses portes en 1983, alors que le pays était sous occupation soviétique. Il est installé dans une villa de la fin du XIXe siècle dont le premier propriétaire fut l'illustre général Ghulam Haider Khan Tcharkhi. La famille Tcharkhi allait connaître un destin tragique à l'image du pays. Ghulam Nabi (1890-1932), fils du général et ancien ambassadeur en Union soviétique, a été exécuté le 8 novembre 1932 avec 17 membres de la famille Tcharkhi pour avoir fomenté un soulevèment des tribus pachtounes contre le roi Nadir Shah. Le roi lui-même allait être assassiné exactement un an plus tard par trois balles tirées à bout portant par un jeune étudiant hazara dont le père était un serviteur de Ghulam Nabi. On raconte que le garçon de 17 ans, Abdul Khaliq, fut horriblement torturé avant d'être à son tour exécuté. Un portrait de Nadir Shah se retrouve aujourd'hui accroché dans l'ancienne maison Tcharkhi... Une salle du musée plutôt récente est en effet consacrée aux dirigeants du passé: le dernier roi d'Afghanistan Zaher Shah, fils de Nadir, y côtoie notamment le général Daoud Khan qui l'avait déposé en 1973 pour devenir le premier président du pays. Le dernier dirigeant communiste du pays, Najibullah, figure également dans cette salle, lui qui a été renversé en 1992 par des chefs de guerre afghans moins de trois ans après le départ des troupes soviétiques, et exécuté en 1996 par les talibans qui venaient de s'emparer de Kaboul. Le seul absent de cette galerie de portraits est bien sûr le mollah Omar, le chef des talibans en fuite depuis la chute de son régime en 2001.
"C'est un lieu chargé d'histoire qui devrait susciter plus d'intérêt", estime Mohammed Rafik, le nouveau directeur de la Galerie. Il aimerait échanger des oeuvres avec d'autres institutions, mais il avoue que sans accès à internet, le musée est coupé du monde. Malgré le manque de financements de l'Etat, ce musée compte aujourd'hui quelque 600 toiles de peintres afghans mais aussi des copies de peintres étrangers, grâce à des donations, selon M. Rafik. Une vingtaine de tableaux offerts il y a quelques années et "représentant des corps nus ne peuvent être présentés au public", précise Mme Rahmoni. A l'exception d'une copie d'un tableau italien, sombre et mal conservée, où l'on devine toutefois sans peine le torse nu d'une femme...
Je n'avais pas foulé le sol afghan depuis six ans. Et Kaboul a bien changé.
Il y a eu une éruption de supermarchés et d'échoppes qui vendent de tout mais ne produisent rien, à part quelques fruits. L'électricité est intermittente et l'inflation, éreintante. Les inégalités sont plus criantes et les tensions communautaires entre les Pachtounes majoritaires et les Tadjiks réfractaires, sont plus inquiétantes.
Les rues défoncées appartiennent aux 4X4 des diplomates, des humanitaires, des journalistes, mais aussi des Afghans, ministres, députés et hommes d'affaires qui ont su profiter de la manne occidentale. Aux heures de pointe, les voitures, surtout des Corolla, s'agglutinent aux carrefours au milieu des mendiants, des enfants, des estropiés, des femmes ensevelies dans une burqa sale. Les femmes mieux nanties, elle, n'ont plus peur de sortir à visage découvert. Un châle suffit. Pour le reste, elles sont encore loin de conduire les rênes de ce pays, ne serait-ce que le seul volant d'une voiture. Mais c'est la démocratie, paraît-il. Et quelques unes siègent - la plupart en silence - au Parlement, ce rassemblement de conservateurs que l'on pourrait sans problèmes qualifier de talibans non armés.
Ce qui m'a le plus frappée, c'est l'émergence timide mais réelle d'une vie culturelle, rasée pendant la guerre civile et le régime des talibans. Il y a désormais un Festival de rock à Kaboul, des rappeurs, des téléromans faits maison, des concours de poésie, des graffitis dénonçant l'oppression et la corruption... Et parmi ses artistes, ce sont de jeunes femmes qui tiennent le flambeau. Oui, Kaboul a bien changé.
La fièvre du "Printemps arabe" étant quelque peu retombée, l'édition 2013 de la Dubai Art Fair a été un peu moins faste en oeuvres politiques et engagées. Et peut-être est-ce la raison pour laquelle cette année aucune oeuvre n'a apparemment été retirée sur ordre des censeurs.
La foire des arts de Dubaï, la plus importante dans le Moyen-Orient avec la présence de 75 galeries de 30 pays, est certes un marché pour millionnaires et m'as-tu-vu dans la plus bling bling des villes du Golfe. Mais elle a le mérite de mettre en valeur des artistes issus des pays "émergents" d'Asie, d'Afrique et bien sûr du Moyen-Orient. C'est un peu le Sud qui découvre le Sud, comme a dit très justement une artiste.
La foire, qui s'est déroulée du 20 au 23 mars, s'est d'ailleurs faite l'écho de l'émergence de jeunes artistes dans les pays du Golfe, et notamment en Arabie saoudite, le plus riche en pétrole, en tabous et en interdictions de tous genres. Outre les artistes, deux galeries de Jeddah (Ouest de l'Arabie saoudite) étaient présentes à la foire, ainsi qu'une autre basée à Manama, capitale du royaume de Bahrein, qui représentait cependant des artistes étrangers.
Ahmed Mater (Arabie saoudite): L'évolution de l'homme
Abdulnasser Gharem (Arabie saoudite): Hommes au travail
Les oeuvres les plus engagées, les plus fortes, provenaient de Syrie, dévastée par une guerre civile ayant fait plus de 70.000 morts en deux ans. Un artiste syrien vivant toujours à Damas, Fadi Yaziji, avait fait le voyage pour présenter ses oeuvres, exposées par la galerie syrienne Atassi. Il n'avait bien sûr pas de commentaires à faire sur les événements dans son pays, où il devait rentrer après la Foire. "Posez vos questions aux toiles", a-t-il dit.
Fadi Yaziji
La galerie Atassi, l'oeuvre d'une Syrienne de Homs, Mouna Atassi, a fermé ses portes il y a six mois à Damas en raison de la situation. "Il n'y a plus du tout de vie culturelle à Damas", a expliqué Delphine Leccas, qui représentait la galerie Atassi. Cette jeune française arabisante avait sélectionné les oeuvres faisant partie du récent ouvrage "Syrie: l'art en armes". Mme Atassi s'est installée à Dubaï en attendant des jours meilleurs dans son pays, mais elle n'a pas l'intention d'ouvrir une succursale sa galerie dans cette ville du Golfe, selon Delphine Leccas.
Quant à la galerie syrienne Ayyam, elle a déjà pignon sur rue à Dubaï, Londres, Beyrouth et Jeddah. L'espace qu'elle occupe à Damas sert désormais de studio et d'ateliers aux artistes qui refusent de quitter leur pays en guerre.
Le désormais très célèbre "Freedom Graffiti" de Tammam Azzam faisant figurer sur une toile - grâce à photoshop - le Baiser de Klimt sur un immeuble en ruine criblé d'obus (la toile aussi est trouée).
Safwan Dahloul
Safwan Dahloul, l'un des artistes syriens contemporains les plus célèbres, était également présent à la Foire de Dubaï, ville où il s'est installé pour pouvoir continuer son oeuvre en paix. L'exil est-il une entrave à la création, à son inspiration? "Je ne sors jamais. Je vais de ma maison à l'atelier et vice versa. Donc ça ne change pas grand-chose pour moi", a-t-il dit. Plusieurs de ses proches sont cependant toujours en Syrie.
Laila Shawa (Palestine): Où les âmes demeurent
Taraneh Hemami: Daneshjoo. La résistance en Iran représentée sur des éclats de verres
posés sur une planche de bois.
Pour sortir un peu du Moyen-Orient, il y avait notamment les oeuvres en deux dimensions du Coréen Yi Hwan Kwon qui donnaient le vertige à regarder.
Yi Hwan Kwon
Yi Hwan Kwon
L'Afrique de l'Ouest était l'invitée d'honneur de la Foire cette année
Au même moment la XIe biennal de Sharjah battait son plein sans faire beaucoup de tapage, à l'image de ce petit Emirat, banlieue dortoir de Dubaï pour de nombreux expatriés indiens et pakistanais et le seul Emirat de la Fédération à interdire l'alcool sur son territoire. Yuko Hasegawa du Musée d'art contemporain de Tokyo, ancienne commissaire invitée de la biennal de Venise, avait été désignée directrice de cette biennal après le congédiement en 2011 de son prédécesseur, Jack Persekian, qui n'avait pas "survécu" à une oeuvre considérée "sacrilège" pour l'islam de l'artiste algérien Moustapha Benfodil. L'oeuvre avait été retirée et le commissaire limogé sur ordre du l'Emir de Sharjah lui-même, Sultan bin Mohammed Al-Qassimi, père de Hoor, la grande patronne de cette biennal. Le coeur historique de Sharjah avec ses maisons traditionnelles abandonnées par les Arabes ayant migré dans des villas plus confortables se transforme alors en une multitude de galeries. La biennal de Sharjah, la plus ancienne manifestation artistique des Emirats, est beaucoup moins commerciale et m'as-tu-vu que la Art fair de Dubaï, mais cette édition 2013 a été, à mon humble avis, très sage et peu audacieuse.
La Cène vue par l'artiste koweïtienne Shurooq Amin dont l'exposition "It's a Man's World" avait été censurée l'an dernier au Koweït. Dans une esthétique tape-à-l'oeil à l'image du style de vie des riches du Golfe, l'artiste dénonce notamment le machisme local et les hypocrisies de la société arabe. L'exposition "Popcornographic" est présentée par la galerie Ayyam à Dubaï.
Les trois grands tabous des Emirats arabes unis - et des autres pays arabes - n'ont pas changé: sexe, islam et politique restent des intouchables, à moins de les aborder de façon subtile, sans provocation, de sorte que les censeurs n'y voient que du feu. Je me souviens d'une exposition d'art chinois contemporain à La Havane qui avait été examinée à la loupe par une délégation du ministère chinois de la Culture. Il y avait là, parmi les pièces présentées, un livre rouge en porcelaine. Très anodin à première vue sauf que les pages du livre étaient vides, effacées par le temps... Et les censeurs n'ont rien vu d'autre qu'une représentation du petit livre rouge de Mao comme le leur expliquait le commissaire...
La censure n'est-elle pas la mère de la métaphore comme l'écrivait Borges?
It's a real shame that the works of Nizar Qabbani (1923-1998) haven't been translated much and that he is so little known outside the borders of the Arab world. He conquered the hearts of the Arabs with words of impassionate love, and when he lost his dear Balqis in a bomb blast, his love turned into an enduring pain and his poetry became an army of words combatting the numerous ills of the Arab world. Needless to say that Qabbani's poetry was banned in the region until recently (and remains so in certain countries). The poet passed away in exile in London, far away from the Syrian regime of Hafez al-Assad, who was then at the helm of the country. Bashar al-Assad, his son, is now in power but nothing has really changed in the country of ''Antara'' except for the bloody unrest, as would have written Qabbani.
Antara was an Arab hero from the pre-Islamic era. He was the despised son of a black slave who made his fortunes through acts of bravery and won the heart of the beautiful Abla. Centuries later, and as Qabbani once wrote, ''in an Arab era which has specialized in assassinating poems,'' Antara became, under the pen of the poet, the prototype of the almighty and omniscient dictators who ruled or are still ruling so many countries across all continents.
Antara
This country is a furnished apartment
Owned by a man called Antara
He gets drunk all night long at its gates
And collects the rent from the tenants
He asks its women for marriage
And shoots on its trees, on its children, on its eyes
And on its scented fingers
This land is a private farm belonging to Antara
Its sky, wind and women
Its green pastures
All windows bear Antara's picture
All public squares carry Antara's name
Antara lives in our clothes
In the loaf of bread, in the bottle of cola
And in our dying dreams
In the lettuce and watermelon carts
In the buses and in the train station
In the airport customs and on the postal stamps
On the football fields
In the pizza restaurants
And on all the denominations of forged currencies
An abandoned, refugee city
Not a single mouse, an ant
Or a brook or a tree
Nothing to amaze the tourists
Except the official, authorized portrait
Of General Antara
In the drawing room,
On his happy birthday
In his sumptuous, walled palaces
Of prodigal extravagance
Nothing new in the life of this colonized city
Our sorrows and deaths repeat themselves
The aroma of coffee on our lips repeats itself
Since our birth, we are imprisoned in a bell jar
And in double-talk language
When we start school,
We study a single biography
Which tells us about the might of Antara,
And the generosity of Antara,
And the miracles of Antara
At all cinema theaters,
We only watch a tedious Arabic movie
Starred by Antara
The first piece of news is about Antara
The third piece of news, the fifth, the ninth and the tenth
Are all about Antara
There is nothing in the second program
Except a Qanun musical piece composed by Antara,
An oil painting scribbled by Antara
And a medley of the worst poems sung by Antara
The writers give their voice
To the most erudite of intellectuals: Antara
They embellish his ugliness, they write the history of his era, they spread his thought
J'ai traduit un court poème d'un autre auteur syrien de premier plan peu connu hors des mondes arabes, Mohammed al Maghout. Décédé en 2006 à l'âge de 72 ans, il était aussi dramaturge et scénariste. Bien sûr, il a connu la prison et l'exil, comme nombres d'intellectuels syriens. Sa poésie est sombre et parfois violente, à l'image de son époque...
L'Orphelin
ah
le rêve
le rêve
ma voiture étincelante d'or
est en morceaux et ses roues
roulent comme les gitans
en tous lieux
J'ai rêvé une nuit du printemps
et à mon réveil
des fleurs fleurissaient mon oreiller
J'ai rêvé une fois de la mer
et au matin
nageoires et coquillages couvraient mon lit
mais quand j'ai rêvé de la liberté
des piques encerclaient mon cou
telles une auréole
Ne me cherchez plus
sur les quais attendant un bateau ou un train
Vous me trouverez désormais dans les bibliothèques
J'ai cherché partout sur internet et dans les librairies, en vain. Les oeuvres du poète syrien Nizar Qabbani (1923-1998) sont à peu près introuvables en français pour une raison que j'ignore. Je me suis donc attelée à la traduction de Balqis dans sa version intégrale. C'est l'un des plus beaux poèmes de Qabbani, l'un des plus forts et des plus émouvants aussi. Qabbani l'a écrit après la mort de sa femme irakienne Balqis, tuée le 15 décembre 1981 dans l'explosion de l'ambassade d'Irak à Beyrouth. Le Liban se consumait alors dans une guerre civile dévastatrice, comme la Syrie aujourd'hui.
Nizar Qabbani avec sa femme Balqis
Balqis
Merci à vous
Merci à vous
d'avoir tué ma bien-aimée.
Sur la tombe de la martyre
et de mon poème trépassé,
vous pouvez trinquer.
Est-il un autre peuple que le nôtre
qui assassine le poème?
Balqis
était la plus belle reine de Babel
Balqis
était le plus grand palmier d'Irak
elle marchait sous escorte
de paons et d'antilopes
Balqis, ma douleur
la douleur du poème à peine effleuré
Les épis pousseront-ils
encore sur la poussière de tes cheveux
?
ô verdoyante Ninive
ô blonde bohémienne
ô vagues du Tigre printanier
portant aux chevilles
les plus beaux anneaux
ils t'ont tuée Balqis.
Quelle est cette nation arabe
qui assassine le chant du rossignol?
Où est passé Samuel
où est parti Al Muhalhil (1)
Où sont allés nos valeureux guerriers ?
Les tribus ont dévoré les tribus.
Les renards ont tué les renards.
Les araignées ont tué les araignées
Je le jure par tes yeux
abritant un million de constellations.
Je te raconterai, ô ma lune,
d'étranges choses sur les Arabes
L'héroïsme est-il un leurre arabe?
Ou est-ce l'Histoire qui est, comme
nous, mensongère?
Balqis
ne disparais pas de mes yeux
car sans toi le soleil n'éclairera
plus le rivage.
Lors de l'instruction, je dirai :
le brigand a pris l'habit du combattant
Lors de l'instruction, je dirai:
le brave commandant est devenu
sous-traitant
je dirai:
cette histoire de rayonnement
est la plus mauvaise blague qui soit
Nous sommes une tribu parmi d'autres
Voilà toute l'histoire ô Balqis
Voilà comment l'homme distingue
un jardin d'un dépotoir...
Balqis
Toi la martyre toi le poème
Toi la pureté et le cristal
Le royaume de Saba réclame sa reine
Rends donc au peuple son salut
Toi la plus grande des reines
Toi la femme incarnant la gloire
de l'époque sumérienne
Balqis,
Tu es le plus exquis des oiseaux
le plus précieux des tableaux
plus sacré que les larmes mouillant
les joues de la Madeleine.
Ai-je été injuste à ton égard
le jour où je t'ai tirée des rives
d'Adhamiyah? (2)
Chaque jour Beyrouth tue
et chaque jour une victime
naît dans sa ligne de mire.
La mort rôde
dans notre tasse de café
la clef de notre maison
sur les fleurs de notre balcon
dans les journaux
et les lettres de l'alphabet
Nous en sommes là, Balqis,
de retour à l'âge des païens
de retour à la sauvagerie
l'arriération, la laideur, la
mesquinerie
de retour encore à la barbarie
Où écrire est un voyage
entre deux éclats d'obus.
Où tuer un papillon dans son champ
devient une affaire d'Etat.
Connaissez-vous ma bien-aimée Balqis?
Elle est le point d'orgue du livre de
la passion
Un amalgame merveilleux de marbre et de
velours
Ses yeux telles des violettes
dorment mais ne dorment pas
Balqis
Tu es le parfum de mon souvenir
Un cercueil flottant sur un nuage
Ils t'ont tuée à Beyrouth
comme ils tuent les gazelles
après avoir étouffé les mots.
Balqis
Ceci n'est pas un chant funèbre
mais un adieu aux Arabes
Balqis
Nous avons le mal de toi
Nous sommes en manque de toi.
La petite maison se demande
où est passée sa princesse parfumée.
Nous nous noyons d'informations
obscures et n'y voyons rien de bon
Balqis
Nous souffrons jusqu'à la moelle
les enfants ne savent pas
je ne sais pas quoi leur dire
Frapperas-tu bientôt à notre porte?
Laisseras-tu dans l'entrée ton
manteau?
Seras-tu souriante et resplendissante
comme un champ de fleurs?
Balquis
tes plantes vertes poussent toujours
comme des pleureuses sur le mur
ton visage bouge encore
entre les rideaux et le miroir
même ton mégot a gardé
sa lueur et sa fumée en suspens
refuse de s'en aller
Balqis
Nous sommes frappés au coeur
assourdis de silence, sous le choc
Balqis
Pourquoi as-tu emporté mes jours et
mes rêves
et rayé d'un trait les jardins et les
saisons?
O ma femme
Mon amour, mon poème
Toi la lumière de mes yeux
Toi mon oiseau prodigieux
Comment as-tu pu t'envoler
sans un mot d'adieu?
Balqis
C'est l'heure du thé parfumé d'Irak
mûri telle la meilleure eau-de-vie
Mais qui étanchera ma soif ?
Qui a transporté l'Euphrate
et les roses du Tigre
dans notre maison ?
Balqis
La douleur me pénètre
Beyrouth t'a tuée
sans connaître son crime
Beyrouth t'adorait pourtant
ignorant t'avoir tuée
et enterré la lune
Balqis,
ô Balqis
ô Balqis
Tous les nuages pleurent sur toi
Il n'en reste plus aucun pour moi
Balqis comment as-tu pu partir sans un
mot
sans mettre une dernière fois ta main
dans la mienne?
Balqis
Comment as-tu pu nous laisser
frissonner dans le vent
tous les trois perdus
comme une plume sous la pluie?
N'as-tu pas pensé à moi
qui réclame ton amour
autant que Zeinab et Omar. (3)
Le poète avec ses enfants Zeinab et Omar à Beyrouth
Balqis,
Tu es le trésor surréel
la lance irakienne
la forêt de bambou
Tu défies les astres dans leur
noblesse
D'où tiens-tu cette force?
Balqis
Mon amie, ma compagne
Fragile comme un chrysanthème
Beyrouth et la mer nous sont étroits
Il n'y a plus pour nous d'endroits
Balqis
Toi l'incomparable
L'oeuvre sans rivale
Balqis
les détails de notre histoire me
taraudent
et les minutes et les secondes me
tenaillent
chaque épingle à cheveux raconte une
histoire
chacun de tes colliers conserve ta mémoire
jusqu'aux pinces de tes cheveux dorés
qui rappellent à quel point tu étais
adorée
Ta voix irakienne hante
les rideaux
les chaises
les couverts
Tu reposes mais surgis
des miroirs
des anneaux
du poème
des chandelles
des tasses
et du vin rouge
Balqis ô Balqis
Si seulement tu savais
la douleur qui traîne dans tes lieux
communs
Partout ton esprit flotte comme un
oiseau
dans un parfum de bois de Baume
Là tu fumais
Là tu lisais
Là, avec la grâce d'un palmier,
tu coiffais tes cheveux
pour accueillir nos invités
plus vive qu'un glaive du Yémen
Balqis,
Où est ton flacon de Guerlain?
Et la lumière bleue?
Et la cigarette Kent
qui ne quittait jamais tes lèvres?
Où est le chant d'Al Hashimi
pour ma belle?
Ton peigne se souvient en
pleurs de son passé
Peut-il souffrir aussi du manque
d'amour?
Balqis, j'ai du mal à garder mon
sang-froid
au milieu de ces langues de feu et de
cette fumée
Balqis
Ma princesse tu as brûlé
dans une guerre de tribus
Que puis-je écrire sur l'absence de ma
reine?
Ma parole est un cri.
Nous cherchons une étoile déchue
et un corps ayant volé en éclats
comme un miroir
parmi un amas de victimes
Nous nous demandons, mon amour,
ci-gît ta tombe ou celle du peuple arabe ?
O Balqis plus gracieuse qu'un saule
quand tes mèches reposent sur mon
épaule
Tu es ô ma reine une fontaine de noblesse
Balqis
est-ce le destin des Arabes
d'être assassinés par des Arabes
engloutis par des Arabes
éventrés par des Arabes
enterrés par des Arabes
Comment fuir un tel destin?
Le couteau arabe ne sait-il pas la différence
entre le cou d'un homme et celui d'une
femme?
Balqis
s'ils t'ont fait exploser ils doivent savoir comme à Kerbala que toutes les funérailles conduisent à des funérailles.
L'Histoire je ne la lis plus
Mes doigts sont en feu
et mes vêtements souillés de sang.
Nous voici revenus à l'Age de Pierre.
Chaque jour nous ramène mille ans en
arrière.
A Beyrouth la mer n'est plus
depuis que tes yeux ont disparu.
La poésie réclame son poème
aux mots inachevés
mais personne ne répond.
La tristesse, Balqis, saigne mon coeur
comme une orange qu'on presse.
Maintenant je connais la détresse des
mots
le fardeau du langage.
Moi le forgeur de lettres
je ne sais plus écrire.
L'épée s'immisce dans ma poitrine
et dans mes phrases.
Balqis, tu es comme toutes les femmes
la culture incarnée.
Qui a volé Balqis,
le plus heureux des présages
la source de toute écriture?
Tu es l'île et le phare
Balqis...
ma lune, ils t'ont ensevelie sous les
pierres
mais le temps est venu de lever le
rideau
lever le rideau
Lors de l'instruction je dirai :
je connais les noms, les choses
les prisonniers, les martyrs
les pauvres et les déshérités
et je dirai: je connais le tueur
qui a passé ma femme par les armes
et les visages de tous les délateurs
je dirai: notre chasteté est débauche
et notre foi immorale.
je dirai: notre combat est mensonge
et rien ne distingue
la politique de la prostitution
!!
Lors de l'instruction, je dirai:
j'ai reconnu les assassins.
Et je dirai:
Notre monde arabe se spécialise
dans le meurtre du jasmin
et l'assassinat des prophètes
et des messagers.
Même les yeux verts
sont dévorés par les Arabes.
Même les cheveux, les anneaux,
les bracelets, les miroirs et les
poupées.
Même les étoiles craignent ma patrie
et je n'en sais pas la raison.
Même les oiseaux fuient ma patrie
et je n'en sais pas la raison.
Même les astres, les navires,
les nuages,
les cahiers et les livres
et la source de toute beauté
s'oppose aux Arabes
le jour où ton corps de lumière
a volé en éclats
ô Balqis,
ma perle précieuse
je me suis demandé: tuer une femme
est-il
un passe-temps arabe
ou sommes-nous à l'origine
des professionnels du crime?
Balqis,
mon foudroyant pur-sang
j'ai honte de mon Histoire
de ces nations qui achèvent les
chevaux.
Depuis le jour où ils t'ont tuée
ô Balqis
toi la plus belle des patries
l'homme ne sait plus
comment vivre dans sa patrie
comment mourir dans sa patrie.
Je paye de mon sang le plus terrible
des châtiments pour plaire aux gens
Les cieux m'ont rendu à la solitude
comme les feuilles hivernales.
Les poètes naissent-ils de la douleur?
Le poème est-il un coup de poignard?
Ou suis-je le seul à narrer
l'histoire des larmes avec mes yeux?
Lors de l'instruction, je dirai:
ma gazelle a été abattue par Abou
Lahab (4)
Tous les voleurs – du Golfe jusqu'à
l'océan -
détruisent et brûlent
entravent et soudoient
agressent les femmes comme
le voudrait Abou Lahab.
Tous les chiens vaquent à leurs
occupations
mangeant et buvant sur le compte d'Abou Lahab.
Pas de blé dans les champs si Abou
Lahab dit non
Pas d'enfant qui naisse avant que sa
mère
ne soit passée entre les bras d'Abou
Lahab
Pas de prison sans l'avis d'Abou Lahab
Pas de tête coupée sans un ordre
d'Abou Lahab
Lors de l'instruction, je dirai
comment ma princesse a été violée
et comment ils se sont partagés
le bleu de ses yeux
et l'anneau de ses fiançailles
et je dirai comment ils se sont
partagés
ses cheveux ondulant comme des rivières
d'or
Lors de l'instruction, je dirai
comment ils ont volé les versets
sacrés et mis le feu au Coran
Je dirai comment ils ont saigné la beauté et possédé sa bouche
sans laisser de rose ni de raisin
La mort de Balqis est-elle la seule
victoire de l'Histoire des Arabes?
Balqis
ma passion jusqu'à l'ivresse.
Les prophètes menteurs
montent sur le dos des peuples
sans livrer de messages.
Si seulement ils avaient
cueilli une étoile ou une orange
de la triste Palestine!
Si seulement ils avaient
rapporté des plages de Gaza
un galet ou un coquillage!
Si seulement ils avaient libéré
en un quart de siècle
une olive ou un citron,
et effacé la souillure historique!
J'aurais alors remercié tes tueurs,
Balqis, ma passion jusqu'à l'ivresse.
Mais ils ont abandonné la Palestine
pour assassiner une gazelle!
Que peut la poésie, Balquis,
dans cette époque?
Que peut la poésie
dans une ère égoïste
amorale et lâche?
Le monde arabe
est écrasé, opprimé,
et sa langue a été coupée.
Nous sommes l'apogée du crime!
Balqis ils t'ont arrachée à moi
ils ont arraché mon poème
ils ont déchiré l'écriture et le livre,
l'enfance et l'espérance.
Balqis,
ô Balqis
Tu es un ruisseau de larmes ruisselant
sur les cordes d'un violon
J'enseignais à tes tueurs les secrets
de l'amour
mais avant la fin de la course
ils ont abattu mon coursier.
Balqis
Je te demande pardon.
Peut-être as-tu sacrifié ta vie pour la mienne?
Je sais bien que tes
assassins
ciblaient mes mots, mon poème.
Ma beauté, repose en paix.
Après toi, la poésie est morte
et la féminité s'en est allée.
De générations en générations
les enfants réclameront
l'histoire de ta chevelure
Et les amants à venir te liront
toi la maîtresse de l'amour
Et un jour les Arabes comprendront
qu'ils ont tué la prophétesse.
T U E
L A P R O P H
E T E S S E
1 - Samuel et al Muhalhil sont deux guerriers poètes de l'ère présislamique réputés auprès des Arabes pour leur courage et leur générosité. Pour la petite histoire, Samuel s'était converti à la religion juive au Yémen.
2 - Adhamiyah est un quartier de Bagdad sur les rives du Tigre
3 - Zeinab et Omar sont les enfants de Nizar Qabbani et Balqis
4 - Abou Lahab ou le "père de l'enfer", ennemi juré du prophète Mahomet, devait son surnom à ses pommettes rouges et à sa cruauté.
*Balqis est aussi le prénom de la fameuse reine de Saba, d'où les comparaisons avec la Balqis de Nizar.