Muscat est une ville blanche qui s'étire en langueur le long du Golfe d'Oman, une ville qui se couvre et se découvre au soleil entre des montagnes couleur chair. Impossible donc d'avoir une vue générale de cette cité de près de 800 000 habitants, sauf peut-être du haut des airs.
Pour qui arrive par la route en provenance de Dubaï, Muscat fait plaisir aux yeux. Si la ville est certes difficile à saisir du regard en raison de sa position géographique, elle étale des beautés simples, des villas festonnées et des édifices crénelés camouflant les climatiseurs derrière des moucharabieh. Rien de clinquant, d'artificiel et de m'as-tu-vu comme à Dubaï. Tout y est plus authentique, plus vivant, plus coloré.
La couleur. C'est justement ce qui frappe le plus l'oeil usé par le monochrome du Golfe. A Oman, le monde n'est plus en noir et blanc. Les villas prennent des couleurs le long des routes dès qu'on traverse la frontière. Les femmes peuvent se couvrir de couleur ciel ou d'orange, les hommes en faire de même avec les motifs de leur kumma, ce chapeau rond en tissu brodé que les Omanais auraient rapporté de leur ancienne "colonie" africaine, Zanzibar.
Dans les hôtels et les magasins, dans les rues et sur la corniche, il y a des Omanais qui travaillent, se prélassent ou discutent. Mais ils sont présents. Pas comme aux Emirats où les ressortissants locaux, largement minoritaires dans leur pays, semblent une race en voie d'extinction qu'on ne peut voir que dans les centres commerciaux et certaines entreprises publiques. Aux Emirats, la rue est indienne, afghane et pakistanaise. Pas à Oman.
Il faut dire que le Sultanat d'Oman est beaucoup moins riche en hydrocarbures que les autres Etats du Golfe, exception faite du Yémen voisin, pays le plus pauvre du monde arabe. Oman, c'est le royaume de l'encens, de la myrrhe et de la grenadine, où il faut travailler pour vivre. L'Etat n'a pas les moyens de subventionner son peuple comme on le fait par exemple aux Emirats.
Et c'est pour protester contre leurs conditions de travail et la corruption que des Omanais avaient fait grève et étaient descendus l'an dernier, au plus fort du "Printemps arabe", par centaines, voire par milliers, dans les rues de Muscat et de Sohar, une ville côtière où l'on extrait du cuivre. Après une série d'arrestations musclées (deux morts selon des sources officielles), un supermarché a été incendié à Sohar, un gouverneur a été congédié et le gouvernement a été remanié. Des peines de prison ont été prononcées contre des leaders du mouvement et des militants un peu trop critiques sur les réseaux sociaux. Et tout est officiellement rentré dans l'ordre. Du moins selon les médias locaux qui se contentent en général de rapporter les (beaux) faits et gestes du sultan Qaboos, doyen des chefs d'Etat arabes depuis la chute de Kadhafi.
Au pouvoir depuis 1970, le sultan sans femme ni descendance n'a toutefois rien d'un tyran (même s'il n'est pas un démocrate). Il a la particularité de se passionner pour la musique classique et c'est pourquoi Oman compte depuis 1987 un orchestre symphonique, le seul de la région composé uniquement de musiciens locaux. Pour l'alimenter, il a fallu aussi créer une école de musique où les enfants sont payés pour apprendre. Histoire de les intéresser à cette musique classique. La qualité de l'ensemble laisse à désirer tout comme parfois le talent et la motivation des petits musiciens omanais, selon deux de leurs professeurs, des Européennes rencontrées dans les travées de l'Opéra de Muscat.
Cet opéra, le sultan en rêvait depuis longtemps. Achevé il y a seulement quelques années, c'est une véritable perle architecturale fusionnant art arabe et tradition européenne. Et les plus grands noms de l'art lyrique y défilent pour des représentations devant des salles médusées, décontenancées et parfois clairsemées au retour de l'entracte.
J'ai assisté à un récital de la chanteuse Jessye Norman qui, accompagnée au piano, a interprété les grands classiques du répertoire américain, Porgy and Bess, Stormy Weather, etc. Je pensais que ce genre de concert attirerait surtout des expatriés et j'ai été surprise de constater le grand nombre de jeunes omanais et omanaises (ils ne se mélangent pas). La salle n'était toutefois pas pleine et, après l'entracte, elle l'était encore moins, surtout au parterre. Le pianiste a joué un solo de Duke Ellington, cinq minutes qui ont agacé au parterre un Omanais qui applaudissait sans discontinuer...bien avant la fin du morceau. Mais le bonheur de Jessye Norman de chanter sur scène est contagieux et a tout emporté...
Ce qui m'a impressionnée le plus à l'opéra, outre la voix de l'interprète, c'est le nombre affolant de gardes de sécurité en dishdasha déployés dans l'enceinte. Pour comprendre mon étonnement, il faut dire que je m'étais promenée un peu plus tôt dans la journée devant la caserne militaire chargée de protéger le palais présidentiel, construit au bord de l'eau, là où les Britanniques avaient jadis élu domicile, quelques siècles après les Portugais. Les soldats omanais allaient et venaient dans leur uniforme, souriants et affables, et l'un d'entre eux - que je questionnais sur la baie - me dit même de prendre autant de photos que je le voulais. Quand on sait tous les problèmes qu'on peut avoir dans le reste du monde si l'on photographie, même par mégarde, des positions militaires... Je ne me suis donc pas gênée pour immortaliser en cliché l'arrière du palais, protégé par des batteries anti-aériennes.