dimanche 24 mars 2013

Dubai Art Fair 2013



La fièvre du "Printemps arabe" étant quelque peu retombée, l'édition 2013 de la Dubai Art Fair a été un peu moins faste en oeuvres politiques et engagées. Et peut-être est-ce la raison pour laquelle cette année aucune oeuvre n'a apparemment été retirée sur ordre des censeurs.

La foire des arts de Dubaï, la plus importante dans le Moyen-Orient avec la présence de 75 galeries de 30 pays, est certes un marché pour millionnaires et m'as-tu-vu dans la plus bling bling des villes du Golfe. Mais elle a le mérite de mettre en valeur des artistes issus des pays "émergents" d'Asie, d'Afrique et bien sûr du Moyen-Orient. C'est un peu le Sud qui découvre le Sud, comme a dit très justement une artiste.

La foire, qui s'est déroulée du 20 au 23 mars, s'est d'ailleurs faite l'écho de l'émergence de jeunes artistes dans les pays du Golfe, et notamment en Arabie saoudite, le plus riche en pétrole, en tabous et en interdictions de tous genres. Outre les artistes, deux galeries de Jeddah (Ouest de l'Arabie saoudite) étaient présentes à la foire, ainsi qu'une autre basée à Manama, capitale du royaume de Bahrein, qui représentait cependant des artistes étrangers.

Ahmed Mater (Arabie saoudite): L'évolution de l'homme

Abdulnasser Gharem (Arabie saoudite): Hommes au travail



Les oeuvres les plus engagées, les plus fortes, provenaient de Syrie, dévastée par une guerre civile ayant fait plus de 70.000 morts en deux ans. Un artiste syrien vivant toujours à Damas, Fadi Yaziji, avait fait le voyage pour présenter ses oeuvres, exposées par la galerie syrienne Atassi. Il n'avait bien sûr pas de commentaires à faire sur les événements dans son pays, où il devait rentrer après la Foire. "Posez vos questions aux toiles", a-t-il dit.

Fadi Yaziji

La galerie Atassi, l'oeuvre d'une Syrienne de Homs, Mouna Atassi, a fermé ses portes il y a six mois à Damas en raison de la situation. "Il n'y a plus du tout de vie culturelle à Damas", a expliqué Delphine Leccas, qui représentait la galerie Atassi. Cette jeune française arabisante avait sélectionné les oeuvres faisant partie du récent ouvrage "Syrie: l'art en armes". Mme Atassi s'est installée à Dubaï en attendant des jours meilleurs dans son pays, mais elle n'a pas l'intention d'ouvrir une succursale sa galerie dans cette ville du Golfe, selon Delphine Leccas.

Quant à la galerie syrienne Ayyam, elle a déjà pignon sur rue à Dubaï, Londres, Beyrouth et Jeddah. L'espace qu'elle occupe à Damas sert désormais de studio et d'ateliers aux artistes qui refusent de quitter leur pays en guerre.


Le désormais très célèbre "Freedom Graffiti" de Tammam Azzam faisant figurer sur une toile - grâce à photoshop - le Baiser de Klimt sur un immeuble en ruine criblé d'obus (la toile aussi est trouée). 

Safwan Dahloul

Safwan Dahloul, l'un des artistes syriens contemporains les plus célèbres, était également présent à la Foire de Dubaï, ville où il s'est installé pour pouvoir continuer son oeuvre en paix. L'exil est-il une entrave à la création, à son inspiration? "Je ne sors jamais. Je vais de ma maison à l'atelier et vice versa. Donc ça ne change pas grand-chose pour moi", a-t-il dit. Plusieurs de ses proches sont cependant toujours en Syrie.


Laila Shawa (Palestine): Où les âmes demeurent

Taraneh Hemami: Daneshjoo. La résistance en Iran représentée sur des éclats de verres
posés sur une planche de bois. 

Pour sortir un peu du Moyen-Orient, il y avait notamment les oeuvres en deux dimensions du Coréen Yi Hwan Kwon qui donnaient le vertige à regarder.


Yi Hwan Kwon

Yi Hwan Kwon


L'Afrique de l'Ouest était l'invitée d'honneur de la Foire cette année

Au même moment la XIe biennal de Sharjah battait son plein sans faire beaucoup de tapage, à l'image de ce petit Emirat, banlieue dortoir de Dubaï pour de nombreux expatriés indiens et pakistanais et le seul Emirat de la Fédération à interdire l'alcool sur son territoire. Yuko Hasegawa du Musée d'art contemporain de Tokyo, ancienne commissaire invitée de la biennal de Venise, avait été désignée directrice de cette biennal après le congédiement en 2011 de son prédécesseur, Jack Persekian, qui n'avait pas "survécu" à une oeuvre considérée "sacrilège" pour l'islam de l'artiste algérien Moustapha Benfodil. L'oeuvre avait été retirée et le commissaire limogé sur ordre du l'Emir de Sharjah lui-même, Sultan bin Mohammed Al-Qassimi, père de Hoor, la grande patronne de cette biennal. Le coeur historique de Sharjah avec ses maisons traditionnelles abandonnées par les Arabes ayant migré dans des villas plus confortables se transforme alors en une multitude de galeries. La biennal de Sharjah, la plus ancienne manifestation artistique des Emirats, est beaucoup moins commerciale et m'as-tu-vu que la Art fair de Dubaï, mais cette édition 2013 a été, à mon humble avis, très sage et peu audacieuse.

La Cène vue par l'artiste koweïtienne Shurooq Amin dont l'exposition "It's a Man's World" avait été censurée l'an dernier au Koweït. Dans une esthétique tape-à-l'oeil à l'image du style de vie des riches du Golfe, l'artiste dénonce notamment le machisme local et les hypocrisies de la société arabe. L'exposition "Popcornographic" est présentée par la galerie Ayyam à Dubaï.  

Les trois grands tabous des Emirats arabes unis - et des autres pays arabes - n'ont pas changé: sexe, islam et politique restent des intouchables, à moins de les aborder de façon subtile, sans provocation, de sorte que les censeurs n'y voient que du feu. Je me souviens d'une exposition d'art chinois contemporain à La Havane qui avait été examinée à la loupe par une délégation du ministère chinois de la Culture. Il y avait là, parmi les pièces présentées, un livre rouge en porcelaine. Très anodin à première vue sauf que les pages du livre étaient vides, effacées par le temps... Et les censeurs n'ont rien vu d'autre qu'une représentation du petit livre rouge de Mao comme le leur expliquait le commissaire...

La censure n'est-elle pas la mère de la métaphore comme l'écrivait Borges?



dimanche 3 mars 2013

Antara by Nizar Qabbani (English Version)



It's a real shame that the works of Nizar Qabbani (1923-1998) haven't been translated much and that he is so little known outside the borders of the Arab world. He conquered the hearts of the Arabs with words of impassionate love, and when he lost his dear Balqis in a bomb blast, his love turned into an enduring pain and his poetry became an army of words combatting the numerous ills of the Arab world. Needless to say that Qabbani's poetry was banned in the region until recently (and remains so in certain countries). The poet passed away in exile in London, far away from the Syrian regime of Hafez al-Assad, who was then at the helm of the country. Bashar al-Assad, his son, is now in power but nothing has really changed in the country of ''Antara'' except for the bloody unrest, as would have written Qabbani.

Antara was an Arab hero from the pre-Islamic era. He was the despised son of a black slave who made his fortunes through acts of bravery and won the heart of the beautiful Abla. Centuries later, and as Qabbani once wrote, ''in an Arab era which has specialized in assassinating poems,'' Antara became, under the pen of the poet, the prototype of the almighty and omniscient dictators who ruled or are still ruling so many countries across all continents.

Antara

This country is a furnished apartment
Owned by a man called Antara
He gets drunk all night long at its gates
And collects the rent from the tenants
He asks its women for marriage
And shoots on its trees, on its children, on its eyes
And on its scented fingers

This land is a private farm belonging to Antara
Its sky, wind and women
Its green pastures
All windows bear Antara's picture
All public squares carry Antara's name
Antara lives in our clothes
In the loaf of bread, in the bottle of cola
And in our dying dreams
In the lettuce and watermelon carts
In the buses and in the train station
In the airport customs and on the postal stamps
On the football fields
In the pizza restaurants
And on all the denominations of forged currencies

An abandoned, refugee city
Not a single mouse, an ant
Or a brook or a tree
Nothing to amaze the tourists
Except the official, authorized portrait
Of General Antara
In the drawing room,
On his happy birthday
In his sumptuous, walled palaces
Of prodigal extravagance
Nothing new in the life of this colonized city
Our sorrows and deaths repeat themselves
The aroma of coffee on our lips repeats itself
Since our birth, we are imprisoned in a bell jar
And in double-talk language
When we start school,
We study a single biography
Which tells us about the might of Antara,
And the generosity of Antara,
And the miracles of Antara
At all cinema theaters,
We only watch a tedious Arabic movie
Starred by Antara
The first piece of news is about Antara
The third piece of news, the fifth, the ninth and the tenth
Are all about Antara
There is nothing in the second program
Except a Qanun musical piece composed by Antara,
An oil painting scribbled by Antara
And a medley of the worst poems sung by Antara
The writers give their voice
To the most erudite of intellectuals: Antara
They embellish his ugliness, they write the history of his era, they spread his thought
And they beat the drums of his triumphant wars

There are no stars on television
Except for Antara
With his graceful figure
Or his expressive laugh
One day as a duke and a prince
One day as a poor laborer
One day on a Russian tank
One day on an armored carrier
And one day on our crushed ribs

Nizar Qabbani