mardi 22 mai 2012

Dubai, "garant" des droits de l'Homme...

Ce n'est un secret pour personne que les gratte-ciel de Dubaï se sont construits sur la sueur et parfois le sang de centaines de milliers de travailleurs asiatiques, en particulier indiens. Leurs conditions de vie et de travail souvent misérables ont été maintes fois dénoncées par des organisations de défense des droits de l'Homme. Ces conditions se sont améliorées au fil des ans et des dénonciations mais des lacunes demeurent, toujours selon des ONG. Et les nombreux suicides de travailleurs indiens sont là pour le rappeler (150 travailleurs indiens se sont suicidés en 2008 et 112 en 2010 selon l'ambassade d'Inde). 

Très sensible à tout ce qui pourrait ternir son image luxe, calme et volupté, Dubaï veut désormais s'afficher comme un "garant" des droits de l'Homme, du moins si j'en juge par ce grand panneau publicitaire que j'ai photographié dans le métro, à la station Burj Khalifa-Dubai Mall, l'une des plus fréquentées par les touristes. Et puisqu'on parle de droits, une ONG rapporte que 13 personnes qui avaient appelé à des réformes démocratiques aux Emirats sont actuellement détenues, sept d'entre elles qui avaient été naturalisées pourraient être déchues de leur nationalité et déportées... 


mercredi 16 mai 2012

Un code vestimentaire pour touristes et expatriés?

"Vous êtes les bienvenus mais respectez nos valeurs et traditions. Couvrez-vous".

A l'orée d'un été torride, c'est le mot d'ordre lancé sur les réseaux sociaux, notamment twitter, par des Emiratis choqués par les tenues légères - parfois carrément vulgaires - de certaines touristes ou expatriées dans les lieux publics. Les commentaires sur le sujet se sont multipliés au fil des jours ainsi que les appels de certains Emiratis pour la mise en place d'un "code vestimentaire" pour les étrangers. Les brochures touristiques de Dubaï mettent en garde contre le laisser-aller vestimentaire et les portes d'entrée des centres commerciaux affichent le même avertissement, mais qui leur prête attention? se plaignent des Emiratis. Les journaux locaux ont fait part de ce débat au nom de la "décence" et même l'ambassade britannique aurait appelé ses ressortissants à la "retenue"(de vêtements) en dehors de la plage...

Il faut dire que le contraste est grand dans les centres commerciaux de Dubaï - à peu près le seul endroit public où les étrangers peuvent croiser en grand nombre des Emiratis - entre des femmes parfois en niqab, ce voile intégral ne laissant voir que les yeux, et d'autres en mini-jupe. Si les premières sont musulmanes, les deuxièmes aussi peuvent l'être (pour ceux qui croient que se couvrir ou se découvrir, c'est seulement une question de religion).

Copyright S.A Briand
Copyright S.A. Briand
Tout ça pour dire que l'indécence ou son revers, la pruderie absolue (que voudrait bannir la France avec sa loi contre le voile intégral qui ne concerne qu'une infime minorité de Françaises), ne connaissent aucune frontière. L'être humain aura toujours du mal semble-t-il à trouver en tout un juste milieu. Je me souviens d'avoir vu il y a quelques années un reportage dans une station balnéaire française qui avait interdit aux baigneurs torse nu ou aux femmes en maillot l'accès aux cafés, supermarchés, etc.

Que cela console donc les Emiratis, largement minoritaires dans leur contrée et qui se sentent parfois "envahis", les débordements de chair de quelques touristes égarées parmi la masse d'étrangers sont peut-être un des prix à payer pour leur prospérité.

Ayrault, un nom un peu dur pour les Arabes...


La nomination de Jean-Marc Ayrault au poste de Premier ministre en France suscite déjà l'embarras dans les pays arabes... "Ayro", comme son nom se prononce en français, veut littéralement dire dans des dialectes arabes "son pénis" (excuse my French).

Les rédactions arabophones ont tenté d'échapper à l'indécence et au ridicule, sans toujours y parvenir. Al Jazeera écrit ainsi en titre: هولاند يعين أيرو رئيسا للوزراء. Ce qu'un Arabe pourra comprendre comme: Hollande nomme son (hum hum) comme Premier ministre.

Un journal arabophone de Dubaï, al-Bayan, a lui laissé tomber dans son titre le nom de famille du Premier ministre, trouvant beaucoup mieux de l'appeler tout simplement Jean-Marc.

Le grand quotidien libanais An-Nahar a contourné la difficulté en écrivant les lettres l et t terminant le nom du monsieur et qui sont muettes en français afin qu'Ayrault se prononce en arabe "ayrolt'". Le journal de référence du monde arabe, Al-Hayat, basé à Londres, a pour sa part retiré le y du nom pour faire Aro.

Une chaîne de télévision basée aux Emirats arabes unis a enfin fait circuler une note interne demandant à ses journalistes d'écrire en arabe non pas "Ayro", comme le voudrait l'usage en arabe, mais "Aygho".

Un vrai casse-tête donc que cette nomination pour les médias arabes qui doivent craindre plus que tout une visite du responsable français dans leur région...

PS: Il y a deux ans, l'Arabie saoudite avait refusé de recevoir le nouvel ambassadeur pakistanais Akhbar Zib, parce que son nom veut dire arabe rien de moins que "le plus gros pénis"... http://www.huffingtonpost.com/summer-qassim/who-has-the-akbar-zib_b_456304.html

mardi 15 mai 2012

Télévision sous surveillance

Une énième chaîne d'information en continu s'est ajoutée ce mois-ci sans tambour ni trompette au paysage médiatique arabe "post printemps arabe": Sky News Arabia (basée à Abu Dhabi), propriété du magnat australien Rupert Murdoch - en mauvaise posture en raison de l'affaire des écoutes illicites en Angleterre - et du prince milliardaire saoudien Walid ben Talal. Ce dernier devrait aussi lancer bientôt une nouvelle chaîne d'information financière en collaboration avec l'agence Bloomberg. Il y a déjà comme chaînes d'information en continu en arabe Al Jazeera (Qatar), Al Arabiya (appartenant à des Saoudiens mais basée à Dubaï), Al Alam (Téhéran), Al Hourra (Washington),  CNBC Arabia, France 24, BBC, Russia Today... Et j'en oublie.

Pourquoi tant de chaînes d'information en arabe? Parce que le marché est lucratif? Pas du tout. (Des gens du milieu parlent de déficits atteignant quelques milliards de dollars pour le millier de chaînes que comptent au total les pays arabes. Le vaste marché hispanophone est sans doute plus lucratif mais il ne compte que très peu de chaînes d'information internationales, ce qui montre son peu d'intérêt stratégique). Mais tout simplement parce que la télévision est dans les mondes arabes, cette zone stratégique clef riche en pétrole, un formidable levier politique et social comme l'a démontré ces dernières années la chaîne al-Jazeera. Le Liban me paraît une bonne illustration de cette situation: ce pays d'à peine 4 millions d'habitants, sans ressources naturelles, compte presque autant de chaînes de télévision qu'il a de partis politiques. Car si la télévision offre un reflet de la réalité, c'est presque toujours une réalité déformée par le prisme des idéologies ou des affiliations politiques, sociales ou religieuses. Et pas seulement dans les mondes arabes, Fox News aux Etats-Unis n'est certainement pas un modèle d'impartialité et d'objectivité dans sa "croisade" contre Barack Obama ou dans sa perception du conflit israélo-palestinien. La Russie n'a pas laissé libres très longtemps ses chaînes de télé après la chute de l'URSS...


La chaîne Al Arabiya se veut le fer de lance de la campagne de contestation contre les régimes syrien de Bachar al-Assad et iranien de Mahmoud Ahmadinejad. La chaîne multiplie les reportages et images très choquantes en provenance de Syrie - à nous donner le tournis et la nausée devant tant d'horreurs (je n'arrive plus à la regarder, tellement c'est trop) - mais ne dit mot sur la situation au Bahreïn où les troupes saoudiennes et émiraties avaient été envoyées en renfort pour mater des manifestants pro-démocratiques majoritairement de confession chiite. Al Manar, la chaîne du parti chiite libanais Hezbollah, présente les choses exactement à l'inverse d'Al Arabiya (le régime syrien "aimé de son peuple" est la victime de mercenaires dirigés par les "ennemis" de la résistance à Israël), insistant par ailleurs longuement dans ses bulletins sur la contestation au Bahreïn.

La liberté d'expression est toujours conditionnelle et réussit à se faire entendre plus ou moins selon ses thèmes (la religion, le sexe, sont des tabous) et les régimes. Les mondes arabes ne font pas exception à cette règle. On y constatera un vrai changement, une vraie "révolution", le jour où les grandes chaînes arabes témoigneront de façon professionnelle, éthique, critique, de ce qui se passe chez elles, dans leur propre pays, dans leur propre "camp".