mercredi 28 mars 2012

Antara de Nizar Qabbani (Pensée pour la Syrie)


Dommage que le poète syrien Nizar Qabbani (1923-1998) soit si peu traduit, si peu connu, hors des frontières arabes. Il a conquis le coeur des Arabes avec ses chants d'amour passionnés, mais quand on perd l'être cher, Belkis, dans un attentat à l'explosif, l'amour devient douleur et la poésie, une armée de mots à l'assaut des maux si nombreux dans les mondes arabes. Il va sans dire que les poèmes engagés de Qabbani ont été interdits de publication dans la région jusqu'à tout récemment (et le sont encore dans certains pays). Le poète est mort en exil à Londres, loin du régime syrien de Hafez al Assad, qui dirigeait alors le pays. Bachar al Assad, le fils, est désormais aux commandes mais rien n'a vraiment changé au pays d'"Antara", aujourd'hui à feu et à sang, comme l'aurait peut-être écrit Qabbani.

Antara (ou Antar comme son nom a été traduit en français), c'est d'abord un héros arabe de l'ère pré-islamique. L'enfant méprisé d'une esclave noire qui, par son courage, se forge un destin et gagne le coeur de la belle Abla. Des siècles plus tard dans "une époque arabe qui fait profession d'assassiner les poèmes" (dixit Qabbani), Antara est devenu sous la plume du poète le prototype du dictateur tout-puissant et omniscient qu'ont connu ou connaissent encore tant de pays sur tous les continents.
   
Antara

C'est un pays pareil à un appartement meublé
appartenant à un certain Antara
Il s'enivre la nuit à nos portes
et dévore le fruit de nos loyers
Il butine les femmes
et fusille les arbres, les enfants, la tendresse
et les doigts parfumés

C'est un pays tel un domaine tout entier livré à Antara
Son ciel, ses vents, ses femmes
Ses champs verdoyants
Toutes les fenêtres affichent la photo d'Antara
Toutes les places portent le nom d'Antara
Antara est partout, sur nos vêtements,
le sac à pain, la bouteille de coca,
le chariot de choux et le melon,
dans nos rêves agonisants
aux douanes et sur les timbres,
dans les stades et les pizzerias,
et sur tous les billets contrefaits

C'est une ville que fuient les réfugiés
Pas une souris, pas une fourmi,
pas un ruisseau, pas un arbre,
rien qui ne puisse surprendre l'oeil du voyageur
hormis les portraits géants du général Antara
Dans les salons, les palais somptueux de sa prodigalité
Au jour joyeux de son enfantement

Rien de nouveau jamais dans cette ville momifiée
Peine et mort nous sont refrain
A nos lèvres toujours l'amer café
Depuis notre naissance nous gisons captifs d'une cloche de verre
Et d'une langue de bois
Depuis l'école nous ne lisons qu'un seul récit narrant la force d'Antara
la générosité d'Antara, les miracles d'Antara
Pas un film arabe qui ne montre Antara dans les cinémas de notre ennui
Rien ne nous intéresse à la radio le matin
Car c'est Antara qui ouvre le bulletin
Et le sujet de la troisième, cinquième, neuvième, dixième nouvelles
C'est Antara
Et le programme suivant présente encore une composition d'Antara
jouée sur la table d'un Qanoun*
Et les tableaux sont des gribouillages d'Antara
Et les plus médiocres des poèmes s'envolent de la bouche d'Antara

C'est un pays
Où les poètes prêtent leur plume
au plus savant des lettrés, Antara
Ils fardent sa laideur, brodent ses mémoires, propagent ses idées
et battent le tambour de ses guerres triomphales

La seule étoile du petit écran
C'est Antara
avec son maintien gracieux ou son sourire éloquent
Un jour il est duc ou émir
Un jour il est pauvre travailleur
Un jour il est sur un tank russe
Un jour il est sur un blindé
Un jour il est sur nos côtes brisées

Nizar Qabbani (traduit par moi, donc indulgence)

*Le Qanoun est un instrument à cordes traditionnel arabe. Mais Qanoun veut aussi dire « loi » en arabe, d'où le jeu de mots qui fait rire l'assistance sur cet enregistrement audio du poème récité par Qabbani lui-même.


jeudi 22 mars 2012

Art Dubai - censure, business et "printemps arabe"

                                           copyrigt photo: S.A.Briand

C'est chaque fois le même scandale de la censure qui jette une ombre sur les succès de la Dubai Art Fair. Pour la sixième édition de cette foire, la plus importante du monde arabe avec la présence de 75 galeries de 32 pays, ce sont à ma connaissance au moins trois oeuvres exposées par deux galeristes de Dubai qui ont été retirées par des policiers vêtus en civil. 

Les oeuvres censurées - deux sont reproduites ci-dessous - n'ont rien de très choquantes, mais leur connotation politique en cette trouble période de "révolutions arabes" était trop marquée aux yeux des autorités. Tous les galeristes le savent, il y a trois "intouchables" à Dubai: le sexe (et la nudité - adieu chefs-d'oeuvre de l'art européen mais aussi baisers langoureux à la télévision...), la religion et la politique. Mais tout dépend du tact avec lequel ces thèmes sont traités. Dubai n'aime pas la provocation. L'Emirat veut se donner une image de modernité propre et lisse, sans aspérité ni obscénité. Les oeuvres d'art se doivent de refléter cette image. C'est pourquoi il n'y a pas de graffitis à Dubaï, sauf le temps d'une performance très encadrée sur un mur artificiel qu'on peut ensuite démonter... Or, le vent de liberté qui souffle et s'essouffle depuis plus d'un an sur les mondes arabes a mis sur le qui-vive les censeurs qui "veillent plus que d'habitude à la bonne rectitude politique des oeuvres", selon une responsable d'une galerie qui a vu deux de ses tableaux décrochés par la police. 

 Zakaria Ramhani, né en 1983 au Maroc: "Tu étais mon seul Amour"
(L'artiste s'inspire des images d'une vidéo montrant une jeune militante égyptienne dévêtue et sauvagement battue par des policiers lors d'une manifestation en décembre dernier au Caire)

Shadi Alzaqzouq, né en 1981 en Libye: "Après lavage"
("Dégage" peut-on lire sur le caleçon que tient la jeune femme, un rappel du mot d'ordre des manifestants en Egypte, Tunisie ou Syrie à l'encontre de leurs présidents autocrates)

Les oeuvres de Ramhani et Alzaqzouq ont été retirées - fait plutôt rare - après et non avant la visite sur les lieux de l'exposition du fils héritier de Sheikh Mohammed, qui règne sur l'émirat de Dubai. La galerie Carbon 12 a dû retirer une oeuvre de l'artiste iranienne Sara Rahbar juste avant l'arrivée du prince. Les censeurs n'ont pas apprécié l'association du mot "champion" avec l'ancien Premier ministre iranien, Mohammed Khatami. "C'est la même chose partout. Si Obama circule dans une galerie, il ne veut pas être photographié avec à ses côtés une oeuvre qui dit +Fuck Israel+ ou qui pourrait avoir une connotation politique embarrassante pour lui", estime le propriétaire de la galerie, Kourosh Nouri.

D'autres artistes ont pu garder leurs oeuvres sur les murs à la condition d'y apporter de légères modifications. Ainsi le Golfe persique est devenu le Golfe arabique sur un tableau...

La censure, c'est la face sombre de Dubaï et des pays du Golfe très conservateurs. Mais cela n'a pas empêché les Emirats Arabes Unis et surtout le Qatar, l'Etat le plus riche du monde en termes de revenu per capita, de se hisser au rang de métropole des arts dans la région. La Dubaï Art Fair est considérée comme l'une des plus importantes foires d'Orient avec celles de Hong Kong et de New Delhi. Une dizaine de galeries d'art doivent ouvrir leur porte cette année dans cette ville de 2,3 millions d'habitants qui comptera alors à elle seule une quarantaine de galeries. Tous les artistes arabes rêvent d'exposer à Dubaï où tout se vend et se vend très cher. Tous les artistes arabes rêvent de voir leurs installations se retrouver au grand musée de Doha qui a les moyens de ses ambitions (les Qatariotes n'ont pas hésité à verser 250 millions de dollars pour se procurer un Cézanne). L'antenne dubaïote de Christie's a pulvérisé l'an dernier le record pour une vente aux enchères d'un artiste arabe alors que l'installation "Le Message" du Saoudien Abdulnasser Gharem, considéré comme une importante figure de l'art conceptuel arabe, s'est vendue 850 000 dollars. C'est dire à quel point Beyrouth ou le Caïre font désormais pâle figure sur le marché des arts arabe. Les UAE et le Qatar savent très bien tirer leur épingle du jeu dans "ce monde post-occidental" (dixit un journaliste d'art britannique) où l'Amérique ne fait plus rêver et l'Europe croule sous les dettes.

Abdulnasser Gharem, né en 1973 en Arabie saoudite: "Le Message"


Crises et confusion, c'est ce qui caractérise peut-être le mieux en ce moment l'art des mondes arabes. Crises identitaire, sociale, politique, morale, économique. Ces crises sont mondiales mais elles se répercutent avec plus d'éclats et de turbulences dans ces pays écrasés par la corruption et l'oppression. Ceux qui ont fait le "Printemps arabe" rêvaient de liberté et de démocratie. Mais ce printemps n'a guère eu le temps de fleurir. La violence, le fanatisme, le sectarisme brisent peu à peu l'espoir d'un monde nouveau et meilleur. C'est un peu ce qu'expriment plusieurs artistes arabes. 

Roue dentée avec versets du Coran. Cet engrenage de l'artiste marocain Mounir Fatmi et son crâne barbu ont pu curieusement passer à travers les mailles de la censure dubaïote
Zakaria Ramhani: "Tu ne m'as jamais aimé, Père"

 "Hijab series" par la photographe yéménite Boushra Almutawakel
(Plus la mère et la fille se voilent, plus leur sourire et leur identité se perdent. Jusqu'au trou noir final)
L'Indonésie, le plus grand pays musulman au monde, était cette année l'invité d'honneur de la Dubai Art Fair. Deux projets sur la religion ont retenu mon attention et celle aussi des policiers-censeurs qui ont fait subir un interrogatoire aux galeristes concernés mais sans aller plus loin, convaincus de la bonne foi de ces derniers. La galerie Ark représentait le travail de l'artiste Wimo Bayang qui a photographié de fausses Kaaba construites pour les pèlerins indonésiens devant se rendre à la Mecque mais qui doivent au préalable "s'exercer à tourner autour du cube sacré". Les Kaaba sont toutes différentes, ressemblant peu ou prou à leur modèle original car dans des régions isolées, leur auteur ne l'a parfois jamais vu, même en image. Quant à la galerie Biasa, elle présentait un mur d'églises et de mosquées en papier. Des artistes ont demandé à des enfants musulmans d'écrire une lettre à Dieu sur une église de papier et à de petits chrétiens de faire la même chose sur une mosquée de papier. Les enfants ont d'abord refusé puis accepté "dans un geste de tolérance pour la Vérité de l'autre".

Parlant de tolérance, j'aimerais dire quelques mots en terminant sur deux artistes libanais inspirés par un passé qui ne passe pas. Le Liban a expérimenté en 2005, bien avant la Tunisie ou l'Egypte, l'extase et la désillusion de la promesse d'un printemps avec la fin de l'occupation syrienne sous la pression de manifestations monstres. Les soldats syriens ne sont plus au Liban mais le pays est toujours aussi déchiré et n'arrive pas à faire le deuil de ses "martyrs". Il n'y a aucun monument national à Beyrouth pour rappeler les centaines de milliers de victimes de 15 ans de guerre civile au nom d'Allah, de la Croix ou de la Palestine. Chrétiens, sunnites ou chiites, chacun pleure dans son coin, sûr et certain d'être du bon côté, celui de la Vérité. C'est pourquoi, vingt ans après les accords de paix de Taef, il n'y aucun manuel d'histoire sur cette période dans les écoles publiques libanaises. Au Liban, l'histoire officielle unifiée s'arrête à 1943, année de l'indépendance. Un jeune artiste libanais, Alfred Tarazi, s'est donné comme mission de "résister aux Etats Unis de l'Amnésie". Il a le projet d'un grand monument à Beyrouth pour tous les morts et disparus de ces guerres assorties de deux invasions israéliennes dévastatrices. Il espère, mais on n'y croit pas trop quand on pense que le gouvernement vient tout juste de retirer un énième projet de manuel d'histoire commun sous la pression, les cris et les coups de certains groupes confessionnels. L'artiste libanais Raed Yassin a lui eu la bonne et macabre idée de remplacer les thèmes floraux des vases chinois par des scènes de la guerre du Liban, ses "héros" et ses massacres. 

Bachir Gemayel qui voulait unifier le "fusil chrétien". Pièce de l'artiste Raed Yassin, né en 1979


Copyright photo: S.A. Briand



jeudi 15 mars 2012

Des Graffitis et des Hommes


L'une des choses remarquables de Dubaï aux yeux des étrangers, c'est la propreté des lieux publics. Le métro reluit comme au premier jour - il est vrai pas si lointain puisque le métro date de 2009 - même s'il transporte chaque jour des milliers de travailleurs immigrés. Dès l'aube, des hordes d'Indiens armés de balais à sable et de "chasse-poussière" se déploient dans les rues de la ville, sous le regard inquisiteur de caméras de surveillance. Pas un papier qui traîne, pas un graffiti qui souille les murs. Enfin, c'est ce que je croyais jusqu'à ce que je tombe sur un article de la presse locale faisant état de la manie très gênante de certains de s'exprimer dans les toilettes de la plupart des mosquées de Dubaï et de Sharjah, l'émirat voisin, que fréquentent des Arabes, mais aussi et surtout des Pakistanais, des Indiens ou des Bengalis.

Ce ne serait pas gênant bien sûr s'il s'agissait de graffitis à la gloire d'Allah. Mais comme les hommes sont les mêmes partout et encore plus dans un cabinet d'aisance - qui fait perdre à certains tout sens du sacré -, on y fait l'éloge de la fornication sous toutes ses formes, avec dessins à l'appui pour les plus ingénus. Et une toilette publique n'en serait pas une sans graffitis racistes ou haineux, que le journal s'est refusé à reproduire. En gros, les Indiens invitent les Pakistanais qui occupent le Cachemire à "dégager", et les Pakistanais invitent les Indiens qui occupent le Cachemire à "dégager". Un message en hindi donne le numéro de téléphone à composer pour rejoindre les rangs d'Al-Qaïda. Et on apprend dans la toilette d'une mosquée de Sharjah que Ben Laden est vivant et en bonne santé.

Les autorités n'ont pas prévu pour le moment d'installer des caméras dans les toilettes mais de renforcer les équipes chargées d'effacer les graffitis qui sont débordées par l'ampleur du phénomène.


En terminant, juste un mot sur les photos qui accompagnent ce texte: celle ci-dessus montre un éphémère graffiti sur le panneau d'un chantier de construction à Dubaï alors que les deux autres ont été prises dans le quartier de Hamra, à Beyrouth. Sur l'image ci-dessous, il est écrit en vert: "combats le viol". Quelqu'un a ajouté au stylo en dessous: "combats le toi-même et nous te suivons".... 



mardi 13 mars 2012

Ibrahim al-Koni



Il est l'un des romanciers arabes les plus prolifiques (75 ouvrages!) et les plus traduits, mais Ibrahim al-Koni n'a guère attiré les foules au Festival de Littérature de Dubai, où seule une dizaine de personnes ont assisté à sa conférence. Il y a été question d'identité et de langage, de sédentarité et de nomadisme, de tolérance et de spiritualité, mais pas de politique. C'est en aparté avec quelques journalistes étrangers que cet homme filiforme, Touareg "jusqu'au bout des doigts" qu'il a fort longs, s'est confié sur les révolutions arabes et notamment celle qui a bouleversé son pays, la Libye.

« Le pouvoir central libyen est très faible, miné par la corruption, les haines, les guerres de clans et de tribus. Je ne veux pas justifier ceux qui réclament l'autonomie de la région de Berqa, mais dans le contexte actuel, ils cherchent à sauver le pays, à revenir au système fédéral tel qu'il a existé pendant quelques années après l'indépendance" en 1951, estime l'écrivain né en 1948 dans le désert libyen.

Il vit depuis 1993 en Suisse après des années à parcourir le monde comme journaliste. Il était en délicatesse avec le régime Kadhafi, mais pouvait se rendre à sa guise visiter sa famille restée au pays. "Ma notoriété me protégeait", affirme cet homme énergique qui se déplace avec une canne.

Son frère Moussa est aujourd'hui le représentant controversé de la communauté des Touareg au sein du Conseil national de Transition en Libye (CNT). Les Touareg maliens l'avaient accusé de recruter dans leurs rangs des mercenaires pour combattre aux côtés de Kadhafi au début de l'insurrection libyenne. Ce qu'il a démenti. Reste que l'armée de Kadhafi comptait un bataillon entier de ces nomades du désert et que ce sont eux qui auraient organisé la fuite au Mali de Saadi Kadhafi, le fils footballeur du colonel. Et c'est déguisé en targui que Saif el-Islam, le fils "intellectuel" de Kadhafi, a été arrêté par des miliciens.

La Libye risque de voir éclater son système très centralisé, hérité de l'ère Kadhafi. Des chefs de milices et tribaux ont déclaré le 6 mars l'autonomie de l'ancienne province de Cyrénaïque, une vaste région riche en pétrole qui couvre tout l'Est du pays. Le chef du CNT, Moustapha Abdeljalil, s'est dit aussitôt opposé au "fédéralisme" qui, selon lui, conduirait inévitablement à une "partition" du pays. Un scénario qui n'est pas sans rappeler les velléités d'indépendance du Kurdistan irakien, une région autonome également riche en hydrocarbures.




"Une révolution, c'est la destruction d'un monde. Après l'euphorie vient le temps de la reconstruction qui souvent s'inspire du passé, et, forcément, le temps des désillusions. Mais peu importe la suite, le monde arabe tel que nous l'avons connu est mort. Les révolutions ont tué l'ère du pan-arabisme de Gamal Abdel Nasser et du parti Baath pour laisser place à l'ère de l'islam politique, jusqu'à ce que ce dernier échoue à son tour. L'échec de cet islam politique conduira à la démocratie", assure Ibrahim al-Koni.


Cette transformation du monde arabe a poussé l'écrivain à s'atteler à la rédaction de ses mémoires. "Je veux raconter les révolutions qui ont bouleversé l'humanité et dont j'ai été le témoin privilégié". 


Il est jeune journaliste à Tripoli lors du putsch du colonel Kadhafi contre le roi Idris en 1969. "De plus en plus critique" du nouveau pouvoir "révolutionnaire" dit-il, il part un an plus tard à Moscou étudier la littérature et le journalisme. Il est à Beyrouth lorsque la guerre civile éclate en 1975. Il est en Pologne dans les années 1980 lorsque Solidarnosc donne les « premiers coups de boutoir contre l'empire soviétique ». Il est à Moscou en 1991 quand Mikhaïl Gorbatchev est contraint de dissoudre cette Union devenue une coquille vide après les déclarations d'indépendance des républiques qui la formaient. Il est en visite en Libye quand dans la Tunisie voisine le vendeur ambulant Mohammed Bouazizi s'immole par le feu à l'âge de 26 ans.  

Loin des déserts touareg qui l'ont tant inspiré, il mûrit le projet d'un roman inspiré par Bouazizi et son acte de désespoir qui le 4 janvier 2011 a sonné le coup d'envoi des révoltes arabes. "Bouazizi, c'est un peu comme le Christ. Il a fallu qu'il meurt pour que les Arabes renaissent".

Ibrahim al-Koni (english version)





Ibrahim al-Koni is one of the Arab world's most prolific writers (75 books) and one of the most translated authors. But the famous writer did not lure many at the Festival of Literature in Dubai, where only a dozen people attended his conference.
Al-Koni spoke about concepts such as identity, languages, sedentary and nomadic life, tolerance, spirituality, but never ventured into politics.

It is only when the tall, emaciated Tuareg man sat down with foreign journalists that he spoke his mind about the Arab revolutions and in particular about the one that shook the very foundations of his country, Libya.


``The central authority in Libya is very weak, and is undermined by corruption, hate and tribal wars,'' said the writer who was born in 1948 in the Libyan desert. ``I don't want to justify those who are calling for autonomy in Berqa, but in the current situation, they are trying to save the country by trying to go back to the federal system that existed during the first few years after the independence'' in 1951, he said.

Al-Koni has been living in Switzerland since 1993, after having toured the world as a journalist. He had difficult relations with the Qaddafi regime, but managed to return to Libya to visit his family from time to time. ``Fame protected me,'' said the energetic man, who walks with a cane.

His brother Moussa is today the controversial representative of the Tuareg community in the Transitional National Council (TNC) ruling Libya. The Tuaregs in Mali had accused him of recruiting some members of their community as mercenaries to beef up Qaddafi's forces at the start of the Libyan people's revolt against his rule. He has denied such allegations. Qaddafi's forces did include a whole battalion of Tuaregs nomads from the desert, and they were the ones believed to have organized the escape to Mali of Qaddafi's son Saadi, known to have been a footballer. Qaddafi's eldest son and heir apparent, Saif al Islam, was disguised as a Tuareg when he was detained by opposition militants.




Libya is at risk of losing its centralized political system inherited from the Qaddafi era. On March 6, tribal and militia leaders declared the semi-autonomy of the vast, oil-rich eastern region once known as Cyrenaica. TNC leader Mustafa Abdeljalil immediately rejected such moves toward the establishment of a federal system which he said would eventually lead to the ``partition'' of the country. Such a scenario brings to mind the aspirations for independence of Iraq's Kurdistan, a semi-autonomous region also rich in hydrocarbons.


``A revolution is the destruction of a certain world,'' he said. ``After the initial euphoria, the period of reconstruction starts, and this is often inspired by the past and thus leads to disillusionment,'' he said. 


``What happens next is not very important because the Arab world as we know it is dead. The revolutions have killed the pan-Arab era of Gamal Abdel Nasser and the Baath party to make way for the era of political Islam, until this in turn also fails. And the failure of political Islam will then lead to democracy,'' Ibrahim al-Koni said.

Such drastic transformation of the Arab world has prompted al-Koni to start writing his memoirs. ``I want to tell the stories of the revolutions that shook humanity, especially the ones that I have had the honor to witness,'' he said.


He was a young journalist in Tripoli when Colonel Qaddafi led a coup d'état that ousted King Idris in 1969. After he became increasingly critical of the new "revolutionary'' regime, al-Koni had to leave a year later to Moscow where he studied literature and journalism. He was in Beirut when the Lebanese civil war broke out in 1975. He was in Poland in the 1980s when Solidarnosc started its campaign against the Soviet Empire. He was in Moscow in 1991 when Mikhail Gorbachev was forced to dissolve this Soviet Union that had become an empty shell after many of the republics that had formed it declared their independence. He was on a visit in Libya when Mohammad Bouazizi, a street vendor in neighboring Tunisia, torched himself at the age of 26.


Away from the Tuareg desert that has long inspired him, al-Koni is pondering on a novel inspired by Bouazizi and his desperate act on January 4, 2011, that launched the Arab revolts. ``Bouazizi is a bit like Christ, he had to die for the Arabs to return to life.''

dimanche 11 mars 2012

Festival de Littérature


Quelques mots sur la quatrième édition du Festival de Littérature de Dubaï qui s'est terminée en fin de semaine et se targuait de rassembler une "centaine des plus grands écrivains et penseurs du monde". Comme cet événement a été créé par une libraire anglaise installée à Dubaï depuis 1968, année de son mariage avec un homme d'affaires émirati, le monde se résumait à l'Anglo-saxonnie et à la Oumma arabe. Cette réserve sur le caractère international de cette foire ne saurait toutefois en diminuer l'importance dans cette contrée du désert où les écoles se comptaient sur les doigts d'une seule main il y a encore trente ans.

Des dizaines d'adolescents émiratis et d'ailleurs ont fait la queue pour obtenir la signature de jeunes auteurs anglais d'horreur, de fantaisie ou de fantastique, de loin ceux qui ont remporté le plus de succès. Les romanciers plus sérieux sont toujours moins suivis. Moins d'une dizaine de personnes ont assisté à la conférence du Libyen Ibrahim al Koni, pourtant l'un des écrivains arabes les plus prolifiques et les plus traduits. C'est l'éternelle misère de l'écrivain arabe "sans lecteurs", selon le romancier irakien Chaker Nouri. "Si un écrivain arabe n'est pas traduit dans une langue étrangère, il n'existe pas car il n'a pas ou très peu de lecteurs arabes", estime cet exilé de Bagdad qui veut désormais écrire en anglais. N'était pas pour le démentir la très faible quantité d'ouvrages en langue arabe au Festival. Les organisateurs pouvaient cependant invoquer la "bêtise" des douaniers saoudiens qui, selon eux, ont lacéré des cargaisons entières de recueils de poèmes ou de romans (ils n'auraient bien sûr jamais touché au Coran) transportées à Dubaï par camions depuis l'Egypte.

lundi 5 mars 2012

Les Feuilles mortes

On dit dans le monde arabe que les livres sont écrits au Caire, édités à Beyrouth, et lus à Bagdad.

C'était vrai avant le déferlement des barbares.

J'ai rencontré récemment à Beyrouth un éditeur désespéré de livres arabes. Youssef, un vieux monsieur émacié aux habits sombres et surannés, soupire à tous vents que "la poésie arabe est morte", écrasée par la réalité. Et les oeuvres de fiction ne se portent, selon lui, guère mieux, faute de lecteurs.

Bagdad ne lit plus. Du moins plus comme avant. C'est une des tragédies silencieuses de l'invasion américaine de 2003 et du chaos sanglant qui en est résulté. Les librairies et leurs étals jadis si populaires dans les rues animées de la ville ont été pillées, incendiées, bombardées. Lors d'un séjour à Bagdad fin 2007, quelques mois après un attentat meurtrier dans la "rue des libraires", j'avais écrit un reportage sur un artiste irakien qui, pour montrer la destruction culturelle de son pays, exposait des livres mutilés qu'il avait trouvés çà et là parmi les immondices encombrant les rues.

"Ceux qui lisent, les intellectuels, ont fui l'Irak. Certains tentent de relancer la culture du livre à Bagdad, mais c'est difficile", dit Youssef en rajustant ses lunettes.

Il ne publie plus que des livres pour enfants qu'il peine à faire distribuer hors du Liban. "De beaux livres" imprimés en Italie et non plus au pays du Cèdre qui a perdu son savoir-faire et ses outils d'imprimerie avec cette guerre de 15 ans livrée au nom de Dieu et de la Palestine.

Au Caire, on écrit certes encore des livres de qualités diverses, mais pour qui ? s'interroge Youssef.

La ville surpeuplée et paupérisée croule sous les hordes d'analphabètes et de croyants trop souvent fanatisés. Les pauvres n'ont pas le luxe de la lecture, les croyants trop croyants ne jurent que par un seul livre et une seule vérité, et les plus fortunés, parfois formés dans des institutions étrangères, préfèrent souvent lire en anglais ou en français, comme au Levant ou dans le Maghreb.


A Dubaï, il suffit de se rendre dans une librairie pour constater que les Arabes du Golfe ne lisent, dans leur propre langue, guère autre chose que le Coran.

Dubaï compte pourtant la plus grande librairie du monde arabe et peut-être de la planète. Preuve du cosmopolitisme de la ville, la librairie japonaise Kinokuniya offrent des centaines de milliers d'ouvrages en anglais, lingua franca mondiale, des manga japonais et des bouquins en français, en allemand ou en espagnol. La section arabe est très limitée et se résume à des commentaires sur le Coran, des recueils de poèmes et des livres d'histoire dont l'édition est en général de très mauvaise qualité. Les jeunes arabes préfèrent feuilleter des livres en langue étrangère avec leur papier glacé et leurs images en couleur.

Les librairies à Beyrouth donnent plus d'espace à la fiction arabe mais leurs étagères restent beaucoup mieux garnies en ouvrages anglais et français.

A la vue de cette pauvreté étalée, qui pourrait croire que le monde arabe est la cinquième langue parlée au monde avec plus de 300 millions de locuteurs?

L'arabe a peut-être le défaut de ses qualités. C'est une langue riche et complexe, au vocabulaire très étendu et d'une rarissime précision (beaucoup plus que le français par exemple). C'est aussi, d'une certaine façon, une langue élitiste qui cache ses voyelles à l'écrit et fourvoie ses locuteurs dans le dédale de sa grammaire aussi rigoureuse qu'une équation mathématique. Peu d'Arabes la maîtrisent parfaitement. D'autant que c'est pour eux une langue "seconde" apprise à l'école. A la maison ou dans la rue, ils parlent leur dialecte local, proche ou lointain de cet arabe classique utilisé dans les médias, les livres, les affaires politiques ou la correspondance officielle. Un Libanais ne comprend pas le parler d'un Marocain et c'est cette langue classique, commune à tous les Arabes, qui leur permet de communiquer.

Le livre arabe n'a toutefois pas dit son dernier mot. Les populations arabes ont en moyenne moins de 25 ans et sont de plus en plus éduquées, laissant espérer, un jour, une renaissance culturelle.

Laïc dépité et socialiste vaincu, l'éditeur Youssef n'espère lui qu'une seule chose avant de mourir: voir Bagdad ressusciter.

                                                                                   Copyright photo: Sylvie A Briand

dimanche 4 mars 2012

Tu ne manifesteras point

Les expatriés et sujets émiratis doivent s'occuper à se divertir sans jamais manifester un quelconque engagement politique - autre bien sûr que celui encadré par l'Etat. Et en cette période tourmentée de révoltes dans le monde arabe, les autorités locales sont devenues encore plus sensibles sur cette question. Une information rapportée il y a quelques jours par Human Rights Watch le montre bien. Dans un communiqué, cette organisation américaine fait état de la révocation pour un an du permis de résidence, et donc de la déportation, d'une cinquantaine de Syriens à la suite d'une manifestation pacifique organisée le 10 février devant le consulat syrien de Dubaï contre le régime de Bachar al Assad - dont les violences sont pourtant condamnées par le pouvoir émirati. Accusés d'avoir enfreint la loi (les autorités ne permettent aucune manifestation sur leur sol), ces Syriens vivant parfois depuis une dizaine d'années à Dubaï sont expulsés des Emirats mais ne seront heureusement pas contraints de retourner dans leur pays d'origine en proie à un conflit armé. Le Qatar, l'Egypte ou le Koweït devraient les accueillir, selon HRW. L'an dernier, cinq Emiratis qui avaient appelé sur un forum en ligne à la mise en place d'un régime démocratique aux UAE ont été arrêtés et condamnés à des peines de prison avant d'être amnistiés par les autorités. On ne badine pas avec la politique aux UAE.

copyright photo: Sylvie A Briand